Fille ou garçon ? La question est classique après une naissance, mais la réponse ne va pas de soi. Car l’opposition laisse de côté le cas des personnes intersexes, qui font l’objet d’un rapport de la délégation aux droits des femmes au Sénat, rendu public mardi 7 mars. Elles y sont définies comme « nées avec une ambiguïté des organes génitaux » : « A la naissance, il est compliqué de déterminer s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille au vu des organes génitaux extérieurs. »

Dans les faits, l’intersexuation recouvre des situations diverses, et les variations qui en relèvent ou non ne font pas consensus. Le flou autour de la notion est d’autant plus grand qu’il n’existe aucune statistique complète sur le nombre exact de personnes concernées par ces variations, constate le rapport, qui recommande d’établir « une cartographie et une base de données précises ». En 2009, une étude de la Haute autorité de santé estimait tout de même que le phénomène pourrait toucher 2 % des naissances.

Les sénatrices Maryvonne Blondin (PS, Finistère) et Corinne Bouchoux (EELV, Maine-et- Loire), se penchent sur la question épineuse des opérations effectuées sur les personnes intersexes, généralement pendant leur enfance, pour leur assigner un sexe masculin ou féminin dans lequel ils ne se reconnaissent pas à l’âge adulte. Faut-il demander réparation devant la justice ?

« Conséquences dramatiques »

Car ces interventions sont dénoncées par des associations d’intersexes comme « des mutilations », voire « des tortures ». Le rapport note « leurs conséquences dramatiques et douloureuses », sur le plan physique comme psychologique.

En mai 2016, Vincent Guillot, cofondateur de l’Organisation internationale intersexe (OII), témoignait à l’occasion des auditions menées par la délégation : « J’ai subi des injections de testostérone jusqu’à l’âge de 16 ans. Je souffre d’infections urinaires, j’ai des lésions neurologiques liées aux chirurgies qui me font souffrir en permanence. »

Le rapport rappelle que l’an dernier, la France a été mise en cause par le Comité des droits de l’enfant et le Comité contre la torture de l’ONU, qui lui ont reproché ces atteintes au droit à l’autodétermination des personnes. Il souligne aussi le manque de transparence dans lequel ces interventions étaient pratiquées au cours de la seconde moitié du XXsiècle. Toutefois, il se prononce contre des poursuites judiciaires et des recours individuels contre les soignants, avançant qu’à l’époque « les techniques médicales étaient beaucoup moins performantes ». De plus, le corps médical a depuis « pris conscience des problèmes éthiques soulevés par les opérations systématiques », selon le rapport.

La délégation préconise néanmoins la mise à l’étude d’une indemnisation des personnes ayant souffert des interventions, ainsi que la mise en place d’un cadre plus respectueux du consentement des enfants eux-mêmes.

« La binarité est la règle »

Dans une société où « la binarité des sexes est la règle », le rapport souligne par ailleurs que les intersexes sont particulièrement exposés à la stigmatisation. Militant pour leur reconnaissance, les intersexes revendiquent le droit de ne pas mentionner leur sexe dans leurs démarches administratives, ou le droit à un genre « neutre » ou « indéterminé ».

Mais la reconnaissance d’un sexe neutre pose à l’heure actuelle de trop nombreux défis juridiques et soulève trop de questions (par exemple, faudrait-il instaurer dans certains domaines des quotas d’intersexes comme pour les femmes ?), estime le rapport. Ses auteurs ne se prononcent donc pas sur la question, et se contentent de souligner qu’elle devrait faire l’objet d’une « réflexion très approfondie ».

Benjamin Moron-Puech, juriste auteur de plusieurs articles sur la question, regrette que « certaines alternatives à la mention du sexe beaucoup moins attentatoires à la vie privée » n’aient pas été examinées. « Notre travail est une première pierre à l’édifice, affirme Mme Bouchoux. L’objectif est déjà de porter à la connaissance du public cette question méconnue. »