Attentat à Kaboul : la force de l’EI reste intacte
Attentat à Kaboul : la force de l’EI reste intacte
Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondant régional)
L’attaque de l’hôpital militaire de la capitale afghane a causé la mort d’au moins trente patients, médecins, infirmiers le 8 mars.
Deux habitants, en larmes, après l’attaque d’un hôpital à Kaboul, le 8 mars. | SHAH MARAI / AFP
L’hôpital militaire de Kaboul visé par une attaque terroriste mercredi 8 mars soignait aussi bien des blessés des forces de l’ordre afghanes que des combattants insurgés. Peu après 9 heures, des assaillants vêtus de blouses blanches, déguisés en médecins, ont fait irruption dans l’établissement de 400 lits, munis de fusils d’assaut et de grenades. Au moins 30 patients, médecins et infirmiers sont morts, et une quarantaine ont été blessés dans cet assaut qui a duré plus de six heures. « Quand les tirs ont commencé, j’ai couru dans les couloirs, c’était la panique parmi le personnel et les visiteurs. J’en ai vu plusieurs tomber. Ils tiraient sur tout ce qui bougeait », a témoigné un médecin à l’AFP. Les quatre assaillants sont morts, dont un qui s’est fait exploser à l’arrière de l’hôpital Sardar Mohammad Daud Khan.
Les talibans ont nié tout lien avec cette attaque qui a été revendiquée par l’organisation Etat islamique (EI). « Dans toutes les religions, un hôpital est considéré comme un lieu à l’abri de toute attaque, et s’en prendre à lui, c’est s’en prendre à l’ensemble de l’Afghanistan », a réagi le président afghan Ashraf Ghani. Malgré leur protection par le droit humanitaire international, les personnels de soin sont régulièrement victimes du conflit afghan. En 2016, la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a dénombré 119 incidents dans des centres de soin. Des attaques y ont fait 10 morts et 13 blessés parmi les civils.
En dépit d’une présence militaire qui s’est réduite au cours des derniers mois, face à l’offensive de l’armée afghane et des talibans, ainsi que des tirs de drones américains, la force de frappe de l’EI en Afghanistan reste intacte. Elle vise en priorité les civils, et notamment la minorité religieuse chiite. En juillet 2016, elle a revendiqué une attaque-suicide lors d’un défilé pacifique de la minorité chiite hazara à Kaboul, qui a fait 80 morts et 231 blessés. Sur les 6 994 victimes civiles, blessées ou tuées par les combattants insurgés en 2016, 899 ont été attribuées à l’EI, selon le décompte de la MANUA. Un bilan qui est dix fois supérieur à celui de 2015.
« Exercer une pression »
Sur le terrain, la présence de l’« Etat islamique de la province du Khorasan » (ISKP), la branche de l’EI qui revendique un territoire s’étendant de l’Asie centrale au Pakistan en passant par l’Afghanistan, s’est pourtant considérablement réduite. Devant le Sénat américain, le général John Nicholson, commandant des forces de l’OTAN et des Etats-Unis en Afghanistan, a affirmé le 7 février que l’ISKP ne contrôlait plus que « 3 ou 4 districts » dans la province de Nangarhar, dans l’est de l’Afghanistan, contre 11 au début 2015. L’ISKP est composée d’anciens membres des talibans pakistanais et afghans, ainsi que du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (IMU). Plus de la moitié de leurs kamikazes sont d’origine étrangère.
Or, « ces groupes bénéficient de réseaux et d’aptitudes complémentaires, a ajouté John Nicholson. Il faut continuer à exercer une pression pour éviter l’émergence d’une nouvelle organisation plus virulente dont le tout est plus dangereux que la somme de ses parties. » L’ISKP dispose également de cellules dormantes dans les centres urbains du pays, dont Kaboul. « Le groupe est capable de préparer et mener des opérations contre des cibles qui ne sont pas hautement sécurisées, avec l’aide de recrues locales, et qui peuvent provoquer de nombreuses victimes », observe Borhan Osman, chercheur au centre d’études Afghan Analysts Network (AAN), basé à Kaboul.
L’organisation s’appuie sur de puissants outils de propagande, bien plus sophistiqués que ceux de ses ennemis talibans, à l’instar de la station de radio Khilafat Ghag (« la voix du califat ») qui émet sur les ondes à Kunduz et à Nangarhar, ou encore les réseaux sociaux. L’irruption de l’Etat islamique dans le paysage insurrectionnel afghan risque de réveiller un antagonisme sectaire sunnites-chiites dans un pays qui en était jusque-là relativement préservé. Un nouveau front s’est ouvert dans la longue guerre qui ravage l’Afghanistan depuis la chute du régime des talibans en 2001.