Léon Bertrand, le 15 novembre 2006, à l'Elysée à Paris. | PATRICK KOVARIK / AFP

C’est le dernier épisode en date d’un feuilleton politico-judiciaire qui agite la Guyane depuis près de treize ans : mardi 7 mars, la cour d’appel de Basse-Terre, en Guadeloupe, a condamné Léon Bertrand, le maire de Saint-Laurent du Maroni et président de la communauté de communes de l’Ouest guyanais (CCOG), à trois ans de prison ferme avec mandat de dépôt, 80 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité pour « corruption passive » et « favoritisme ». L’ancien ministre délégué au tourisme de Jacques Chirac, qui a toujours clamé son innocence, était accusé d’être impliqué dans une affaire de marchés publics illégaux.

Augustin To-Sah Be-Nza, l’ancien directeur général des services de la CCOG, a été condamné à deux ans de prison dont un avec sursis, 30 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité, pour les mêmes motifs. L’entrepreneur Jean Pradié a été condamné à quatorze mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende pour complicité de corruption passive et de favoritisme. Depuis 2013, huit personnes ont été condamnées dans ce dossier, collaborateurs ou ex-collaborateurs de Léon Bertrand, et chefs d’entreprise.

Le « système Bertrand »

Tout commence en juillet 2004, avec la disparition à Saint-Laurent de Myrtho Fowell, le directeur administratif et financier de la CCOG. Plus aucune trace de cet homme de 37 ans, ni de sa voiture de fonction… sauf des appels de son téléphone portable, à Cayenne puis Sinnamary, la nuit de sa disparition, selon le site Guyaweb. Rapidement, l’enquête s’oriente sur un volet financier. Le dossier est confié à la Juridiction interrégionale spécialisée de Fort-de-France (Martinique).

En épluchant les comptes de Myrtho Fowell et de la collectivité, les enquêteurs mettent au jour des détournements présumés de fonds publics opérés par l’ancien directeur financier via dix mandats passés pour des faux marchés publics de la CCOG, selon l’AFP.

Par ailleurs, les investigations aboutissent à des suspicions de marchés irréguliers. Une deuxième enquête est lancée en 2007, menée par les policiers de la Division nationale d’investigations financières (DNIF) : douze marchés de la CCOG sont visés, la plupart entre 2002 et 2004, époque où Léon Bertrand cumule les fonctions de maire de Saint-Laurent, président de la CCOG, conseiller régional et secrétaire d’Etat puis ministre du tourisme – il le reste jusqu’en 2007. Homme fort de la droite guyanaise, il se lance en 2004 à la conquête du conseil régional, sans succès.

En mars 2009, Augustin To-Sah Be-Nza détaille en garde à vue « le système Bertrand », avec « une liste de sociétés » rentrant dans le « système de financement occulte des campagnes électorales » et des marchés « attribués illégalement et de façon prédéterminée », selon un arrêt de la cour d’appel de Fort-de-France de 2014. En juillet 2016, la Cour de cassation avait confirmé leur culpabilité, mais renvoyé le dossier devant la cour d’appel de Basse-Terre sur la question des peines, le premier jugement d’appel rendu en Martinique n’étant pas assez motivé sur ce point.

Bertrand clame son innocence

Depuis, l’ancien directeur s’est rétracté, évoquant « les tortures des policiers » en garde à vue, un revirement qui fait suite à la promesse de la CCOG de prendre en charge ses frais d’avocats. Au cours de l’enquête, plusieurs chefs d’entreprise évoquent des marchés attribués illégalement par la CCOG en échange de pots-de-vin.

Fin 2009, Léon Bertrand et son ancien directeur des services sont placés en détention provisoire en Martinique. L’ex-ministre du tourisme y restera trois mois et demi. Il clame son innocence depuis le début de l’affaire, évoquant notamment l’absence de preuves ou de traces sur ses comptes bancaires.

Absent à l’audience mardi en Guadeloupe, Léon Bertrand a échappé à un retour en détention – provisoirement seulement. En effet, la cour d’appel de Basse-Terre a prononcé un mandat de dépôt à son encontre, « afin de garantir l’effectivité de la peine prononcée », argumentent les juges dans l’arrêt du 7 mars. « Léon Bertrand (…) a failli à son devoir de probité lié à ses fonctions », précisent les magistrats, qui soulignent « la gravité des faits commis par le prévenu qui a successivement exercé des fonctions électives et ministérielles auxquelles doit répondre la confiance des administrés ». Le maire de Saint-Laurent a cinq jours pour se pourvoir en cassation.

Quant à l’instruction sur la disparition de Myrtho Fowell, elle n’est pas encore close. L’enquête a connu un rebondissement en septembre 2013. Alors qu’ils cherchaient un cadavre dans une autre affaire, des plongeurs de la gendarmerie sont tombés par hasard sur une voiture, plantée dans la vase au fond du fleuve Sinnamary : une Peugeot 307 blanche, le véhicule de fonction de Myrtho Fowell. A l’intérieur, des ossements, identifiés trois mois plus tard comme étant ceux du disparu. Partie civile dans ce dossier, sa veuve a porté plainte pour « homicide volontaire ».