Kevin Carey est l’auteur de « The End of College », essai dans lequel il affirme que les cours en ligne vont se développer au détriment des universités. | DR

Promise dès 2012 aux Etats-Unis, avec l’apparition des premières grandes plateformes de MOOC (Massive online open courses), la révolution de l’enseignement supérieur n’a pas eu lieu. Pas encore ? C’est ce que tend à démontrer The End of College, revigorant essai de Kevin Carey, directeur du département éducation de la New America Foundation, think tank créé fin 1999 pour ausculter l’impact de la numérisation sur la société.

Principal postulat de cet ouvrage aussi robuste historiquement que sociologiquement : l’université américaine vit « les derniers jours de sa décadence ». Derrière les réussites spectaculaires d’une cinquantaine de fleurons mondiaux, au premier rang desquels Stanford, Harvard ou le MIT, des milliers d’établissements échouent à tenir la promesse la plus élémentaire qui soit : enseigner quelque chose aux étudiants. « Au cours de leurs deux premières années d’université, 45 % des étudiants ne font aucun progrès en pensée critique, raisonnement analytique et capacités d’expression », affirme l’auteur.

L’analyse du naufrage, passionnante, plonge dans les racines de l’histoire des universités américaines qui, au XIXe siècle, constituent un corps enseignant « d’experts de haut niveau » mais piètres pédagogues. En découle « un cruel paradoxe » : plus le niveau scientifique monte, plus l’attention aux étudiants, notamment de premier cycle, s’amenuise.

Toujours moins pour toujours plus cher

Le système prospère néanmoins, tant que le retour sur investissement est au rendez-vous. Mais la mécanique se grippe à partir du premier choc pétrolier. Face à la montée du chômage, les jeunes se ruent vers les universités pour décrocher un diplôme, sauf-conduit désormais indispensable pour accéder à un marché de l’emploi de plus en plus concurrentiel.

Les effectifs augmentent, les tarifs s’envolent (jusqu’à 60 000 dollars annuels), la dette étudiante explose… Le tout dans un contexte de compétition acharnée entre universités soumises depuis le début des années 1980 à la pression de classements qui leur imposent à la fois d’investir toujours plus afin de rester dans la course et d’en rabattre sur leurs exigences de niveau pour conserver des parts de marché.

« Dans quelques années, des millions d’élèves auront accès à ce dont Alexandre, fils de Philippe de Macédoine, bénéficia comme d’une prérogative royale : l’attention personnalisée d’un précepteur aussi savant que l’était Aristote. » Patrick Suppes, professeur à Stanford.

Ce système toujours plus onéreux et toujours moins performant – hormis, là encore, dans une poignée d’universités – ne résistera pas au développement d’outils numériques qui apportent un changement de paradigme fondamental : ils permettent de collecter des données, en masse, sur la façon dont chacun apprend et d’adapter les parcours et rythmes d’apprentissage à chacun.

L’auteur se garde néanmoins de tout vertige technologique : cette mutation exige un fort investissement des universités pour concevoir cours, programmes et dispositifs nouveaux. Détournant McLuhan, Kevin Carey affirme « qu’en matière d’éducation, le médium n’est pas le message », raison pour laquelle ni la radio ni la télévision n’ont, en leur temps, révolutionné l’éducation.

Mais il affirme que la vision formulée par Patrick Suppes, professeur à Stanford, dans un article resté célèbre dans les annales de l’histoire informatique, est sur le point d’advenir. Ce dernier prédisait que, « dans quelques années, des millions d’élèves auront accès à ce dont Alexandre, fils de Philippe de Macédoine, bénéficia comme d’une prérogative royale : l’attention personnalisée d’un précepteur aussi savant que l’était Aristote ». Les « quelques années » auront duré un demi-siècle : cette prédiction date de 1966.

The End of College. Creating the Future of Learning and the University of Everywhere, Kevin Carey, Riverhead Books, New York, 2016.