Bugeat, village corrézien dans les starting-blocks pour accueillir une athlète soudanaise
Bugeat, village corrézien dans les starting-blocks pour accueillir une athlète soudanaise
Par Pierre Lepidi (Bugeat, Corrèze, envoyé spécial)
Esteer Gabriel, une heptathlète réfugiée en Israël, pourrait arriver avec sa famille dans ce village doté d’infrastructures pour sportifs de haut niveau.
Combien de médaillés olympiques et de champions du monde sont-ils passés par Bugeat, un village entouré par les forêts de Haute-Corrèze ? « On n’a jamais compté, mais il y en a beaucoup, assure fièrement Philippe Feytis, directeur de l’Espace 1000 Sources, le centre sportif de Bugeat, village corrézien de 850 habitants. Ce centre national d’entraînement a reçu plusieurs dizaines d’athlètes, de judokas, de handballeurs et d’haltérophiles venus du monde entier… Bugeat est même connu à Cuba puisque nous avons reçu plusieurs fois l’équipe nationale de boxe. »
Sur les murs du centre sportif, qui s’étend sur une dizaine d’hectares au milieu du plateau de Millevaches, on peut voir des photos de Teddy Riner et d’autres membres de l’équipe de France de boxe qui a fait une razzia de médailles aux Jeux de Rio (six podiums), mais aussi de champions plus anciens, comme Alain Mimoun. Le vainqueur du marathon olympique de Melbourne en 1956 avait découvert la région grâce à sa femme, originaire de Tulle, située à une cinquantaine de kilomètres.
En ce début mars, cela fait plusieurs semaines que tout le village attend la possible venue d’une nouvelle athlète au parcours atypique. Esteer Gabriel, que dans nos premiers articles nous avions surnommée « Judith » pour protéger son identité, est née à Khartoum, au Soudan, il y a dix-huit ans. Elle vit actuellement en Israël, où sa famille est parvenue à se réfugier en 2010 après une longue errance. Leur présence et celle de plus de 40 000 autres migrants africains n’ont jamais été acceptées par les autorités israéliennes, qui les poussent au départ. La France s’est proposée de les « réinstaller » et Bugeat, de les accueillir.
« Risque d’expulsion d’Israël »
Grâce à la générosité laïque du conseil municipal du village – « qui est globalement très favorable à l’arrivée de ces migrants soudanais », selon le maire Pierre Fournet –, de la paroisse et d’une association portée par le Secours populaire, Esteer Gabriel et les huit autres membres de sa famille seraient accueillis à bras ouverts à Bugeat. Mais il reste des formalités à accomplir et surtout une décision importante à prendre, pour une famille qui a connu presque vingt ans d’exil. Elle risque désormais d’être expulsée d’Israël, et a été classée « vulnérable » par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (UNHCR). « Nous sommes prêts à leur souhaiter la bienvenue, explique le maire, ancien instituteur. Ils seront logés dans une partie du presbytère, puisque l’initiative de les recevoir vient de la paroisse. Bugeat est un village sportif et je suis persuadé que la jeune athlète se sentira bien et qu’elle pourra poursuivre sa carrière dans de bonnes conditions. »
Ouvert en 1989, l’Espace 1000 Sources, soutenu par Jacques Chirac lorsqu’il était député de la circonscription à la fin des années 1980, dispose d’équipements adaptés au sport de haut niveau. Il compte deux gymnases, deux terrains de football et de rugby, une salle de boxe et de musculation, un dojo, un espace détente et de balnéothérapie (bassin aquatique, bain froid, sauna et hammam), des chambres pouvant accueillir 200 athlètes, une cafétéria et évidemment une piste d’athlétisme, dont le tartan vient d’être nettoyé avec un procédé spécifique.
« Les athlètes bénéficient d’une bonne oxygénation ici puisque le stade est situé en pleine nature à 720 mètres d’altitude, ajoute Philippe Feytis. Aucune acclimatation n’est nécessaire pour les équipes qui peuvent s’entraîner dans un calme propice à la cohésion de groupe. De plus, le domaine a une position centrale puisqu’il se situe à 4h30 de Paris en train, et seulement à une heure de Limoges. »
Alain Mimoun, décédé en 2013, avait raflé 32 titres nationaux. Il aimait raconter son amour pour la Haute-Corrèze, ses forêts, ses prairies, ses plateaux. Le plus célèbre des marathoniens français ne se lassait pas non plus de décrire aux habitants de Bugeat chaque détail de sa course historique de 1956. Une plaque commémorative a été apposée sur la porte de la chambre qu’il occupait dans le centre sportif.
Comme lui, Thierry Pantel et tous ceux qui ont foulé la piste en tartan du stade de Bugeat, Esteer Gabriel est une passionnée d’athlétisme. Depuis quatre ans, elle pratique l’heptathlon, une discipline qui rassemble sept épreuves : 100 mètres haies, saut en hauteur, saut en hauteur, lancer de poids, 200 mètres, javelot et 800 mètres. Elle est aussi spécialiste du triple saut et espère réaliser un bond à 12,50 m cette année. Suivra-t-elle la même trajectoire qu’Eunice Barber, arrivée de Sierra Leone à l’âge de 19 ans et sacrée championne du monde d’heptathlon sept années plus tard ?
« On trouvera forcément une solution »
Plusieurs hypothèses sont possibles pour la prise en charge sportive de l’athlète soudanaise. L’une d’elle serait qu’elle intègre la section d’heptathlon d’Ussel, à quarante kilomètres de Bugeat, sous la direction de Christian Lamarche qui a accompagné plusieurs athlètes sur les podiums français et internationaux. « On trouvera forcément une solution, indique Frédéric Desproges, président du club d’athlétisme de Bugeat, qui organise chaque année le trail Millevaches-Monédières, fin avril. Même si le village n’est pas spécialisé dans l’heptathlon, on pourrait envisager un encadrement ou un programme d’entraînement à distance. »
Avec l’arrivée d’Esteer Gabriel et de sa famille, le village poursuit sa longue tradition d’accueil. Pendant la seconde guerre mondiale, il a hébergé des familles belges, juives et d’autres du nord de la France qui fuyaient le nazisme. « C’est très important pour moi d’accueillir ces migrants, explique Liliane Ortin, une paroissienne aujourd’hui retraitée. Quand j’étais à l’école, il y avait des affiches pour prôner le bon comportement et sur lesquelles on pouvait lire “Qui vole un œuf vole un bœuf” ou “On doit toujours prendre soin d’un plus petit que soi”. Ces phrases ont accompagné ma vie. Même si j’ai de faibles moyens, ma porte sera toujours ouverte pour cette famille. Et tout le monde devrait faire pareil ! »
Un premier contact par visioconférence doit être établi entre Esteer Gabriel, son entraîneur israélien et une responsable du HCR. Dans le centre sportif 1000 Sources de Bugeat, Pierre Fournet, Philippe Feytis et Frédéric Desproges ont créé un compte sur Skype.