Ankara adopte des mesures de représailles envers Amsterdam
Ankara adopte des mesures de représailles envers Amsterdam
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
La Turquie a réagi à l’interdiction faite samedi 11 mars à deux de ses ministres de tenir des meetings aux Pays-Bas. Attaquant également l’Allemagne de Merkel, elle a menacé de réexaminer l’accord sur les migrants conclu il y a un an avec l’Europe.
Manifestations de Turcs devant le consulat turc de Rotterdam, en soutien à deux de leurs ministres ayant été interdits de tenir des meetings aux Pays-Bas, samedi 11 mars. | MARTEN VAN DIJL / AFP
Ambassadeur indésirable, relations diplomatiques suspendues et demande d’excuses écrites font partie des mesures de rétorsion annoncées, lundi 13 mars au soir, par le gouvernement turc à l’endroit des Pays-Bas. Samedi, le royaume avait interdit à deux ministres turcs de promouvoir sur son sol la réforme constitutionnelle en vue du renforcement des pouvoirs du président turc, soumise à référendum le 16 avril en Turquie.
« Nous leur faisons exactement ce qu’ils nous ont fait. Nous n’autorisons pas les avions transportant des diplomates néerlandais à se poser en Turquie ou à pénétrer dans notre espace aérien », a expliqué le vice-premier ministre, Numan Kurtulmus, lundi, lors d’une conférence de presse à Ankara. « Il revient à ceux qui ont provoqué cette crise de la régler », a-t-il ajouté. L’ambassadeur néerlandais, Cornelis Van Rij, actuellement absent de Turquie, a ainsi été déclaré indésirable.
Ankara ne décolère pas depuis l’interdiction faite, samedi, à deux de ses ministres – Mevlut Cavusoglu pour les affaires étrangères et Fatma Betül Sayan Kaya pour la famille – de participer à des meetings de la diaspora turque à Rotterdam. Des interdictions qui, selon le président Recep Tayyip Erdogan, relèvent de la Convention européenne des droits de l’homme. La Turquie envisage donc de saisir la Cour de Strasbourg.
Attaques contre Angela Merkel
L’application de la Convention, le mètre étalon des droits de l’homme pour les Etats membres du Conseil de l’Europe, a pourtant été suspendue par la Turquie en juillet 2016 à la suite de la tentative de coup d’Etat, ce qui lui a permis de limoger 125 000 salariés sans aucune décision de justice et d’emprisonner 40 000 personnes sans être trop regardant sur les dossiers d’accusation. Des dizaines de journalistes sont détenus depuis plus de cent jours sans avoir été mis en examen.
La colère turque s’est aussi tournée vers l’Allemagne, où plusieurs municipalités ont annulé la tenue de rassemblements électoraux de la diaspora turque. Semblant avoir mal supporté la solidarité exprimée par Angela Merkel à l’égard des autorités néerlandaises, M. Erdogan est sorti de ses gonds. Il s’en est pris personnellement à la chancelière allemande, accusée de « soutenir les terroristes ». Lors d’une apparition sur la chaîne de télévision A Haber, il a pesté : « Mme Merkel, pourquoi cachez-vous des terroristes dans votre pays ? Pourquoi restez-vous sans agir ? », faisant allusion aux militants de la cause kurde et aux suspects recherchés pour le coup d’Etat manqué du 15 juillet qui ont trouvé refuge en Allemagne.
Mme Merkel n’a pas jugé bon de rétorquer, qualifiant ces propos d’« aberrants ». « La chancelière n’a pas l’intention de participer à un concours de provocations », a déclaré son porte-parole, Steffen Seibert. Dans son allocution télévisée, M. Erdogan a réitéré son accusation préférée, celle de « nazisme », une période de l’histoire qu’il semble ne pas connaître.
Pas de rétorsions économiques
Plus inquiétant pour les Etats européens, Omer Celik, le ministre turc chargé des affaires européennes a fait allusion lundi à un possible « réexamen » du pacte conclu il y a un an avec l’Europe pour empêcher les migrants de faire route vers le Vieux Continent. « La Turquie devrait réexaminer le volet des passages terrestres », a déclaré le ministre, cité par l’agence pro-gouvernementale Anadolu.
En revanche, les autorités turques se sont gardées d’envisager la moindre mesure de rétorsion économique et ce, pour une bonne raison. Les Pays-Bas sont, de loin, le premier investisseur économique en Turquie avec 20 milliards de dollars injectés entre 2005 et 2015, selon les statistiques du ministère de l’économie turc. Récemment, la société néerlandaise Vitol Group BV a racheté pour 1,5 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros) le plus gros réseau turc de stations d’essence OMV Petrol Ofisi AS. Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays est de 6 milliards de dollars par an. Un million de touristes néerlandais visitent chaque année la Turquie.