Avec Imgur, la culture du « lol » fait de la résistance
Avec Imgur, la culture du « lol » fait de la résistance
Par Morgane Tual (envoyée spéciale à Austin, Texas (Etats-Unis)
Temple de l’humour, ce réseau social à 150 millions d’utilisateurs est parvenu à préserver un état d’esprit plutôt bon enfant, tandis que les autres plates-formes sont submergées de discours haineux.
Imgur est une plate-forme de partage d’images. | Imgur
Si vous ne connaissez pas Imgur, vous avez certainement déjà, sans le savoir, consulté des images qui y sont hébergées. Lancé en 2009, ce réseau social de partage d’images revendique pas moins de 150 millions d’utilisateurs et fait ainsi partie des plates-formes les plus dynamiques du secteur. Ici, il ne s’agit pas de publier de belles photos comme sur FlickR ou de mettre en scène son quotidien comme sur Instagram ou Snapchat, mais plutôt d’échanger des images au potentiel viral, le plus souvent humoristiques.
On y trouve pêle-mêle, sur la page d’accueil, la photo d’un chien aimant se dissimuler derrière un rideau, le gif animé d’un journaliste embrassé en direct par un inconnu, mais aussi des extraits de BD ou de conversations SMS, le tout dans une joyeuse cohabitation. Imgur est aussi un des grands temples du mème sur Internet, ces images virales constamment détournées et faisant office de private jokes d’Internet, pendant parfois plusieurs années.
(« Aujourd’hui, j’ai battu mon record personnel de jours sans mourir. »)
« Internet s’est jeté dessus »
Imgur a vu le jour assez tardivement, en 2009, dans une maison de l’Ohio. Alan Schaaf est alors étudiant, vit encore chez sa mère et regrette qu’il soit toujours si contraignant de partager des images sur Internet et notamment sur Reddit, le plus grand forum du monde – les sites existants manquent de simplicité et sont envahis par la publicité. « J’ai alors créé Imgur, et il s’est trouvé que je n’étais pas le seul à avoir ce problème : Internet s’est jeté dessus », raconte l’Américain lors d’une conférence au festival South by Southwest Interactive (SXSW), qui se tient du vendredi 10 au mardi 14 mars à Austin, au Texas.
« Je travaillais dessus en classe et sur mon temps libre. Quand j’ai eu mon diplôme, je me suis demandé ce que je voulais faire plus tard. Mais, en fait, je ne sais même pas pourquoi je me posais cette question : j’avais déjà ce projet qui me passionnait et qui marchait. »
Et plus qu’il ne l’avait imaginé :
« J’ai investi 7 dollars, pour le nom de domaine. Et on a fini par lever 40 millions de dollars. »
Le site, qui emploie aujourd’hui soixante-dix personnes, a évolué au fil des années. De simple plate-forme d’hébergement d’images légendées, il a permis peu à peu l’hébergement de gifs, facilité la fabrication de mèmes, intégré un système de vote, de commentaires et, plus récemment, de messagerie. Au point de s’être transformé au fil des ans en réseau social à part entière. Si les images qu’il héberge étaient initialement vouées à être partagées et consultées sur d’autres sites comme Reddit, qui l’utilise massivement, de nombreux utilisateurs se rendent aujourd’hui spécifiquement sur Imgur pour y passer du temps.
Antibulle filtrante
Alan et Sarah Schaaf, les fondateurs d’Imgur.
« Ce qui rend Imgur spécial, c’est que les utilisateurs votent pour les images », explique Sarah Schaaf, la sœur d’Alan, qui l’a rejoint très tôt sur le projet pour s’occuper du volet communauté. Sur Imgur, les utilisateurs « upvotent » ou « downvotent » des images, et les plus populaires remontent sur la page d’accueil. Pas besoin d’avoir des milliers d’abonnés pour que son contenu devienne viral, assure Sarah Schaaf.
« Les gens viennent vraiment sur Imgur pour découvrir de nouvelles choses, proposées par des personnes très différentes. Ce que vous voyez n’est pas lié à votre liste d’amis, ni à des contenus que l’on a sélectionnés pour vous parce qu’on pensait que c’est ce qui vous intéresserait. »
Une allusion à peine voilée à la « bulle filtrante » de Facebook pointée du doigt après l’élection de Donald Trump : les algorithmes du plus grand réseau social au monde font remonter les contenus les plus susceptibles d’intéresser ses utilisateurs – avec comme effet de bord de ne pas proposer aux internautes des contenus non conformes à leur vision du monde. Cette bulle, Alan Schaaf veut « la casser, pour vous montrer les autres contenus et les autres personnes qui existent dans le monde. C’était l’idée de base d’Internet ! On veut revenir un peu à ça. »
« C’est trop personnel pour Facebook »
Et contrairement à Facebook, Twitter ou encore Reddit, Imgur se trouve relativement épargné par les discours de haine et autres campagnes de harcèlement qui empoisonnent ces plates-formes. Même si le site n’est pas exempt de trolls et que certains fils de discussion dégénèrent parfois, l’atmosphère générale reste plutôt bon enfant et bienveillante, en comparaison avec beaucoup d’autres. Alan Schaaf tente une explication :
« Nous avons érigé des règles très claires depuis le début, et pas seulement des “recommandations” ; ce sont des règles, et c’est très important que ce soit clair dès le début. Et avec le système de vote, les gens comprennent très vite que ce genre de discours ne passe pas sur ce site. »
Sarah Schaaf assure que « le contenu intéressant et drôle monte, le reste meurt de lui-même. Les personnes qui tiennent des discours haineux se retrouvent au fin fond du site, et ça fait plaisir. C’est aussi un soulagement ». Mais surtout, souligne son frère, « les gens viennent sur Imgur pour s’amuser, pour plaisanter, pour se détendre ».
Et contre toute attente, certaines personnes utilisent aussi Imgur pour partager des moments très intimes et souvent très durs de leur vie, sous couvert d’anonymat, explique-t-elle.
« Vous vous appelez@funnycat123, et non plus Sarah. Vous avez la possibilité de vous montrer vulnérable, ce qui n’est plus vraiment possible sur les autres sites, sur lesquels on doit toujours montrer les aspects les plus cool de sa vie, même quand on traverse des choses difficiles. »
En mai 2015, un internaute a ainsi publié une photo de son bébé, qui s’apprêtait à se faire opérer du cerveau. « C’est trop personnel pour être partagé sur Facebook », a-t-il écrit. « Facebook est pourtant l’endroit où vous êtes supposé être vous-mêmes », poursuit Sarah Schaaf. « Mais pas pour ce papa. C’est sur Imgur qu’il est venu chercher du soutien, et il a reçu des tonnes de messages. »
La bataille des Trump
En ce qui concerne la politique, « un sujet très clivant en ce moment », estime Sarah Schaaf, elle n’a pas non plus trop débordé sur la plate-forme. Certes, les utilisateurs d’Imgur en parlent. « Mais c’est intéressant de voir comment la communauté réagit : elle en rit. » Elle évoque le cas de l’internaute ayant réussi à obtenir le nom d’utilisateur@TheOfficialDonaldTrump, avant qu’un autre ne se vante de posséder@TheRealDonaldTrump, et ainsi de suite. Une quinzaine de comptes sont ainsi apparus, dans un feuilleton qui a amusé tout Imgur quelques jours durant, au point d’en devenir un mème.
« Comme on parle beaucoup de politique sur les autres réseaux sociaux, c’est un soulagement de pouvoir en rire sur Imgur, veut croire Sarah Schaaf. C’est une manière de pouvoir s’échapper un peu de tout ça. »
Qu’est-ce que South by Southwest ?
South by Southwest, surnommé « SXSW », est l’un des plus importants festivals au monde consacré aux nouvelles technologies – mais aussi à la musique et au cinéma. Il se déroule à Austin, au Texas, du vendredi 10 au mardi 14 mars. Plus de 33 000 personnes sont attendues pour assister aux centaines de conférences qui y sont données. Après Barack Obama ou encore Mark Zuckerberg, le festival doit accueillir cette année des personnalités telles que l’astronaute Buzz Aldrin, le « futuriste » de Google Ray Kurzweil ou encore l’équipe de la série Game of Thrones. Pixels suit le festival au quotidien dans une rubrique dédiée, mais aussi sur Twitter et Instagram.