Le pouillot siffleur et le gobe-mouches feront-ils barrage au stockage radioactif de Bure ?
Le pouillot siffleur et le gobe-mouches feront-ils barrage au stockage radioactif de Bure ?
Par Pierre Le Hir
La présence de vingt espèces animales protégées risque de contrarier le projet d’enfouissement des déchets nucléaires dans la Meuse.
Le 15 août 2016 dans le bois Lejuc à Mandres-en-Barrois (Meuse), des manifestants mettent à bas un mur de béton protégeant les travaux de l’Andra. | FABRICE CATERINI /INEDIZ
Les opposants à l’enfouissement des déchets radioactifs dans le sous-sol de la commune de Bure (Meuse) se sont trouvés des alliés inattendus. Des soutiens volants et rampants, à bec, griffes et crocs. Il s’agit de vingt espèces protégées de mammifères, d’oiseaux et de reptiles, dont la présence risque, sinon de stopper, du moins de contrarier le projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) porté par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).
Celle-ci prévoit d’aménager, dans une forêt de 220 hectares appelée bois Lejuc, la « zone puits » qui servira à creuser 15 km2 de galeries souterraines destinées à accueillir, à 500 mètres de profondeur, 85 000 m3 de résidus à haute activité et à vie longue. En vue de la demande d’autorisation de création de cette installation, qui doit être déposée en 2018, l’établissement public a entrepris, à la fin du printemps 2016, des travaux de reconnaissance géologique, protégés par un mur de béton d’un kilomètre de long. Une enceinte mise à bas durant l’été par les opposants, qui ont depuis pris possession de la forêt.
L’Andra s’était déjà heurtée à une décision du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc qui, le 1er août, a jugé « illicite » le défrichement effectué dans ce bois, sans autorisation préalable. Elle s’est alors tournée vers la cour d’appel de Nancy, qui doit statuer le 22 mai. Mais c’est maintenant une cohorte de petits animaux qui se met en travers de son chemin. Le paradoxe est qu’elle a elle-même révélé leur existence.
Zone d’intérêt faunistique et floristique
Depuis 2007, l’agence a en effet mis en place un « observatoire pérenne de l’environnement » pour accompagner le projet de stockage. Elle a ainsi collecté des données sur la faune et la flore locales, et c’est ce recensement qui est à l’origine de l’inscription à l’Inventaire national du patrimoine naturel, à l’automne 2016, d’une nouvelle zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff). Celle-ci, dite de la Fosse Lemaire, s’étend sur 527 hectares et englobe dans son périmètre la totalité du bois Lejuc.
En vert, la Znieff de la Fosse Lemaire, englobant le bois Lejuc sous lequel doit être aménagé le stockage souterrain, desservi par des tunnels inclinés depuis le site de Saudron (en bas à gauche). | INPN
Il s’agit d’une Znieff dite de type 1, appellation s’appliquant à des territoires de petite taille mais caractérisés par la présence d’espèces ou de milieux rares et remarquables, à forte valeur biologique ou écologique. En lui-même, un tel classement n’a pas de valeur juridique contraignante et ne constitue donc pas un instrument de protection réglementaire – à la différence d’une zone Natura 2000 par exemple –, même si la jurisprudence montre que les juges administratifs en tiennent parfois compte pour exiger de l’aménageur des mesures de protection de l’écosystème ou de compensation des dégâts commis.
Mais l’important est la présence d’un bestiaire « à statut réglementé », c’est-à-dire protégé. On y trouve six espèces de chauves-souris (sérotine commune, murin à moustaches, grand murin, noctule de Leisler, pipistrelle commune et murin d’Alcathoé), un petit félin (chat sauvage), onze passereaux (pics cendrés, noir et mar, grimpereau des bois, rouge-queue à front blanc, locustelle tachetée, pouillot siffleur, gobe-mouches gris et à collier, linotte mélodieuse, bouvreuil pivoine), un lézard (orvet fragile) et un serpent (couleuvre à collier). Tous figurent sur les listes des mammifères, oiseaux et reptiles protégés sur l’ensemble du territoire.
Dérogation à la protection des espèces
Or, l’Andra souhaite poursuivre ses défrichements sur 7,5 hectares et réaliser 386 forages, dont 13 d’une profondeur minimale de 235 mètres. Elle prévoit par la suite d’occuper entre 130 et 150 hectares du bois Lejuc, pour y aménager la « zone puits », auxquels s’ajouteront environ 150 hectares pour l’entreposage des matériaux extraits du sous-sol.
Normalement, elle va donc devoir effectuer, auprès du ministère de l’environnement, une demande de dérogation à la protection des espèces, nécessitant un arrêté préfectoral. En cas de litige, l’affaire peut se poursuivre devant le tribunal administratif, puis la cour d’appel, voire le Conseil d’Etat, et même remonter jusqu’à la Commission européenne. Soit, potentiellement, plusieurs mois de procédure.
Déjà, l’Autorité environnementale, qui avait, en novembre 2016, estimé que le défrichement ne nécessitait pas d’étude d’impact préalable, va réexaminer sa position en prenant cette fois en compte la présence de la Znieff, sur la base d’un nouveau dossier constitué par l’Andra.
Interrogée, l’agence considère que « l’inscription du bois Lejuc comme Znieff n’apporte pas d’information supplémentaire sur les données environnementales de la zone, qui étaient connues antérieurement, et ne modifie donc pas non plus les procédures à respecter, notamment vis-à-vis des espèces protégées ».
Tel n’est pas l’avis de l’avocat des anti-Cigéo, Me Etienne Ambroselli, qui, dans un référé du 13 mars à la cour d’appel de Nancy, fait valoir que « l’Andra a participé activement, en parfaite connaissance de cause, à la destruction de cette biodiversité menacée d’extinction en défrichant et bétonnant le bois Lejuc ». Ce qui, selon lui, devrait amener les juges à confirmer le caractère « illicite » des travaux de défrichement. Pipistrelles, passereaux et sauriens sont convoqués à la barre.