La Marche pour la justice et la dignité divise les quartiers populaires
La Marche pour la justice et la dignité divise les quartiers populaires
Par Louise Couvelaire
Prévu dimanche à Paris, ce rassemblement appelle à manifester contre les violences policières, le racisme, l’impunité des forces de l’ordre et l’état d’urgence. La version 2017 est suspectée d’être « pro-Blancs ».
Elle rêvait d’unité, elle récolte la division. La Marche pour la justice et la dignité, prévue dimanche 19 mars à Paris, déroute les quartiers populaires. Lancé en décembre 2016 à l’initiative d’une douzaine de familles de victimes de violences policières, ce rassemblement appelle à manifester, contre celles-ci, contre le racisme, l’impunité des forces de l’ordre et l’état d’urgence, entre autres. Et, plus généralement, contre la répression de l’Etat.
Signé par des dizaines de collectifs, d’associations et de militants, l’appel, parfois décliné sous d’autres formes du fait de divergences sur certains termes et thèmes, a également été rejoint par des syndicats (SUD-Solidaires, FSU…), quelques partis de la gauche de la gauche (PCF, Front de gauche, NPA, PG) ou encore le Parti des indigènes de la République (PIR). Une longue liste de signataires qui fâche certains acteurs de terrain des banlieues, qui se sentent dépossédés de leur combat. Et de leur voix.
Marche de la dignité et contre le racisme, organisée par un collectif de femmes, le MAFED (Marche des femmes pour la dignité), à Paris, le 31 octobre 2015. | LIONEL BONAVENTURE / AFP
Baptisée Marche de la dignité et contre le racisme, la première édition, en 2015, avait été lancée par un collectif d’une soixantaine de femmes souhaitant parler au nom de toutes les « minorités racialisées » et populations des quartiers stigmatisées, tout en revendiquant leur indépendance à l’égard des partis politiques de gauche et des syndicats. Une manifestation aux relents « anti-Blancs » avaient, à l’époque, jugé ses détracteurs. « Un véritable processus d’exclusion avait été mis en place, se souvient Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, qui a amendé avec le MRAP, la CGT et FSU l’appel à manifester. Mais en deux ans, les choses ont beaucoup évolué. »
« Convergence des luttes »
Le changement de cap est assumé : « La Marche est ouverte à tous ceux qui souhaitent nous soutenir, car même si les quartiers populaires restent les premières victimes, ils ne sont plus les seuls », explique la fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, Amal Bentounsi, 41 ans, à l’origine de la manifestation. Son frère, Amine, a été tué d’une balle dans le dos par un policier en 2012 – le tireur vient d’être condamné en appel à cinq ans de prison avec sursis.
Assa Traoré
« Je ne peux me priver d’aucun soutien, nous sommes déjà si peu nombreux… », ajoute-t-elle. « C’est l’ensemble des mouvements sociaux qui est désormais réprimé, à l’instar des manifestations contre la loi travail, renchérit Omar Slaouti, membre du comité organisateur de la Marche et du collectif Ali Ziri (retraité mort lors d’une garde à vue en 2009). Nous devons tous être solidaires face à cette répression qui s’abat sur la France, et dont l’état d’urgence est l’un des principaux outils. » Il précise : « Cette manifestation est un appel à la convergence des luttes. » Le parti pris passe mal.
En effet, cette fois, la version 2017 est suspectée d’être « pro-Blancs ». Dans une tribune publiée le 11 mars dans Mediapart, un militant, Abdoulaye Traoré, l’affirme : « Je ne marcherai pas pour les Blancs. » Et s’explique : « Cette marche est organisée pour (…) réconforter les alliés blancs (…). Elle n’est pas organisée en direction des habitants des quartiers populaires (…). Je trouve insultant de parler [en leur] nom. » Dans une lettre ouverte, parue sur le site Quartiers libres, d’autres « militant(e) s de banlieues excédés par “la couscoussière parisienne” et la “nouvelle bourgeoisie militante” » dénoncent quant à eux la multiplicité des organisateurs, les disparités idéologiques et la « présence massive de la gauche moralisatrice ».
« Admettre les divergences »
« On n’a pas le droit de confisquer la parole aux vrais acteurs de terrain, tempête Samir Baaloudj, ex-militant du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB). Certaines organisations, comme le PIR, instrumentalisent cette marche afin de devenir porte-parole des quartiers populaires. Alors qu’ils n’y mettent jamais les pieds ! Quant à la présence annoncée de Mélenchon, c’est une honte ! Il ne propose rien aux quartiers, et manifestera simplement pour engranger des voix. »
« Personne ne m’instrumentalise, rétorque Amal Bentounsi. Je mène ma barque d’une main de fer. » Pour preuve, dit-elle, seules les familles de victimes prendront la parole publiquement. « Tous les signataires sont d’accord sur une chose : la dénonciation des violences policières, résume la sociologue et co-organisatrice Nacira Guénif-Souilamas. Les désaccords se portent sur les analyses et les solutions envisagées. Mais admettre ses divergences traduit une maturité politique. L’important est de se faire entendre d’une seule voix afin de sensibiliser l’opinion publique et de politiser la question. »
Pas de quoi faire changer d’avis Assa Traoré, la grande sœur d’Adama, le jeune homme mort en juillet à la suite d’une interpellation musclée : elle ne signera pas l’appel. « Dimanche, des cars vont partir de villes de province pour emmener des militants à Paris, raconte-t-elle. Mais il n’y en aura aucun pour aller chercher les jeunes des quartiers populaires. Personne n’est allé les voir. Ils ne sont pas au courant de cette marche. Ils ne viendront pas. » Alors elle non plus.