Ahmed Mansour, à Dubaï en novembre 2011. | © Nikhil Monteiro / Reuters / REUTERS

On l’avait rencontré en avril 2016, à la cafétéria d’un hôtel bon marché de Dubaï. Vêtu d’une dishdasha immaculée, l’uniforme des Arabes du Golfe, Ahmed Mansour avait raconté sur un ton las le harcèlement dont il faisait l’objet de la part des services de sécurité émiratis et de leurs sbires : interdiction de voyage à l’étranger, filature, comptes bancaires mystérieusement siphonnés, menaces de mort par Internet, passage à tabac par des « inconnus ».

« Ils veulent faire taire toutes les voix indépendantes », expliquait alors ce quadragénaire, le dernier dissident à oser encore s’exprimer tout haut, dans cette fédération de sept cités-Etats, tenue d’une main de fer par la dynastie Al-Nahyane.

« Rumeurs de nature à semer la sédition »

L’objectif est atteint. Dimanche 19 mars, Ahmed Mansour a été appréhendé par une équipe de douze policiers à son domicile d’Ajman, un émirat voisin de Dubaï. Alors que les autorités émiraties soumettent souvent leurs opposants à des disparitions forcées, laissant leurs familles sans nouvelles d’eux pendant des mois, elles ont cette fois reconnu l’arrestation.

Ahmed Mansour a été officiellement accusé d’avoir porté atteinte à « l’unité nationale et à la paix sociale et d’avoir nui à la réputation de l’Etat et incité à la désobéissance ». Le procureur chargé de la lutte contre la « cybercriminalité » a déclaré que des documents électroniques, saisis dans son appartement, attestent du fait qu’il publiait de « fausses informations et des rumeurs, de nature à semer la sédition, le sectarisme et la haine ».

Dans la réalité, cet ingénieur en télécommunications, père de quatre enfants, qui se définit comme « laïc et libéral » et dont Amnesty International a demandé la libération immédiate, tenait la chronique, sur Internet, des violations des droits de l’homme perpétrées aux Emirats.

Depuis les « printemps arabes » de 2011, qui ont tétanisé les autocrates du Golfe, la fédération s’est transformée en un Etat policier, ultra-inquisiteur et répressif. Des dizaines de militants et d’intellectuels, certains islamistes et d’autres non, ont été jetés en prison pour avoir critiqué le pouvoir ou tenté de former un mouvement politique, ce qui est prohibé aux Emirats.

Déjà condamné

Le travail d’alerte et de documentation mené sur ce sujet par M. Mansour constituait une source d’information très précieuse pour les médias, les ONG de défense des droits de l’homme et les commissions spécialisées des Nations unies. « Je défends tout le monde, les athées comme les islamistes, je vois l’être humain comme une abstraction », nous avait-il confié en avril 2016. Il se disait persuadé que la meilleure façon de défendre la paix sociale consiste à « protéger les droits de l’homme et non les piétiner ». Cet engagement lui avait valu de recevoir en 2015 le prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l’homme, décerné par Amnesty International.

Ahmed Mansour avait lui même été arrêté en avril 2011 pour avoir signé une pétition demandant l’instauration d’une monarchie parlementaire et condamné à trois ans d’incarcération. Mais la pression des médias et des ONG, en pleine vague de révolutions arabes, avaient incité les dirigeants émiratis à le gracier, en décembre de cette année.

Son retour en prison pourrait être lié à une lettre qu’il a récemment signée avec d’autres militants des droits de l’homme pour demander au prochain sommet arabe, prévu fin mars en Jordanie, « la libération de tous les prisonniers d’opinion au Moyen-Orient ». Un groupe dont, triste ironie, il fait désormais partie.