François Hollande obtient 76 millions d’euros pour le sauvetage du patrimoine en péril
François Hollande obtient 76 millions d’euros pour le sauvetage du patrimoine en péril
Par Florence Evin
Un fonds de dotation sera consacré aux interventions d’urgence après les saccages de l’Etat islamique.
C’est un franc succès, par l’ampleur et la rapidité de la réponse à l’appel aux dons lancé par François Hollande, à Abou Dhabi, en décembre 2016. S’adressant alors à une quarantaine de pays qui avaient répondu présents, le président français visait un seul objectif : sauver le patrimoine en péril, en récoltant cent millions de dollars (93 millions d’euros) d’ici à 2019, et organiser le sauvetage. Lundi 20 mars, au Musée du Louvre à Paris, sept pays se sont engagés à apporter 76 millions de dollars pour alimenter ce fonds de dotation.
Déterminé à « mobiliser la communauté internationale pour protéger les trésors de notre patrimoine commun, une part de notre mémoire universelle », François Hollande, accompagné du président du Louvre, Jean-Luc Martinez, a donné les premiers résultats de sa quête dans la cour Khorsabad du musée parisien, gardée par les grands taureaux ailés, génies protecteurs de l’ancienne capitale assyrienne, au nord de Mossoul (Irak).
« J’appelle chacun d’entre vous à participer à cet engagement », a déclaré le président français, en rappelant qu’en Mésopotamie – l’Irak actuel avec une frange syrienne – « sont nés l’écriture, le langage, la raison et le droit avec le premier code de loi », faisant référence au texte juridique babylonien du roi Hammurabi, daté de 1750 av.J.-C., gravé sur une stèle conservée au Louvre. Les combats s’intensifient, à Mossoul, capitale autoproclamée du califat de l’organisation Etat islamique (EI), pour libérer la deuxième ville d’Irak du joug des djihadistes. Il faut s’apprêter à intervenir pour sauver ce qui peut encore l’être, dès l’EI partie.
L’apport de moyens scientifiques et logistiques
L’objectif financier que s’était fixé François Hollande est déjà presque atteint. La France apporte 30 millions de dollars (28 millions d’euros), « engagement irréversible », les Emirats Arabes Unis, 15 millions (14 millions d’euros), l’Arabie Saoudite, 20 millions (18,5 millions d’euros), le Koweit, 5 millions (4,6 millions d’euros), le Luxembourg, 3 millions (2,8 millions d’euros), le Maroc, 1,5 million (1,4 million d’euros), la Suisse 0,5 million (0,4 million d’euros). Sans compter la Chine et la République de Corée qui ont déclaré s’engager à ajouter au pot commun, sans préciser de montant.
Ces chiffres devraient encore augmenter grâce aux dons. L’homme d’affaires Thomas Kaplan a ainsi annoncé qu’il contribuait pour 1 million de dollars. Ce grand mécène, dont la collection Leiden (Pays-Bas), qui réunit les chefs-d’œuvre du siècle de Rembrandt sont actuellement exposés au Louvre, présidera le fonds de dotation, dont les statuts ont été déposés, le 3 mars, à Genève. Baptisée « Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit », ou ALIPH selon son acronyme anglais, la fondation sera pilotée par un Conseil de quatorze membres, « répondant aux critères les plus exigeants de transparence et régularité », a précisé M. Hollande. La fondation pourra aussi compter sur l’apport de moyens scientifiques et logistiques des organisations philanthropiques américaines, la Fondation Andrew W. Mellon, le World Monument Found et la Smithsonian Institution, présente, comme l’a rappelé son doyen Richard Kurin, en Haïti, au Népal, Mali, Egypte et déjà en Irak et en Syrie. M. Kurin demanda que « cet argent soit utilisé sur le terrain en travail étroit avec les communautés locales ».
Le président français a accueilli la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, venue appuyer l’initiative, par ces mots : « Conscience de l’humanité, l’Unesco trouvera toujours la France à ses côtés ». En maître de cérémonie, Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, pilote de l’opération pour François Hollande, avec son homologue et partenaire émirien Mohamed Al Mubarak, représentant spécial du prince héritier d’Abou Dhabi, ont salué les invités.
Partage des archives
Ministres et ambassadeurs des Etats soutenant la démarche française et ceux des pays victimes, Mali, Irak, Afghanistan, notamment, se sont succédé à la tribune. Manquait la Syrie, où les dommages sont immenses, d’Alep à Palmyre ou Mari. Le banc et l’arrière banc de la diplomatie internationale, les responsables des grands musées parisiens et les scientifiques spécialistes de ce Proche-Orient victime, mais aussi du Yémen, du Mali, de Libye, se tenaient serrés sur des chaises à l’ombre des bas-reliefs millénaires.
Apportant aussi son soutien, Marcus Hilgert, directeur des antiquités du Proche et Moyen Orient du Pergamon, musée berlinois, s’est réjoui «de l’engagement, dans un partenariat public-privé, avec une approche transdisciplinaire et une coordination internationale pour protéger le patrimoine sur une très grande échelle ». Modèle qui a fait le succès au Cambodge de la résurrection des temples d’Angkor où, en vingt ans, 500 millions de dollars ont été apportés par la communauté internationale pour financer la mise en œuvre de 70 projets. Comme le rappela, dans son discours, la ministre française de la culture Audrey Azoulay (candidate à la direction générale de l’Unesco) : « Cette cause nous rassemble au-delà de nos différences ».
« Il est temps de passer de l’émotion à l’action », a insisté Jean-Luc Martinez. Le plus complexe est à venir, avec le choix des priorités et des chantiers à ouvrir dans le cadre d’un Comité scientifique de coordination et de suivi des projets à mettre en place. Celui-ci devra travailler avec le Comité conjoint Irak-Unesco créé, le 24 février, à l’issue du colloque Unesco consacré à l’Irak, avec le gouvernement irakien et une cinquantaine d’experts. Pour Hosham Dawod, anthropologue au CNRS, qui en fait partie, « l’attente des pays concernés par les ravages des djihadistes est immense. A Genève, l’ALIPH, doit travailler “avec” ces pays au sein même du Comité scientifique, et pas seulement “sur” ces pays ». Le partage international des archives archéologiques urge, comme la sécurisation des sites pour éviter les pillages et la formation d’équipes locales. « Une tâche de dizaines d’années », prévient Irina Bokova. Si les fonds suivent.