Autour de la table, ils sont une trentaine à avoir répondu spontanément à l’invitation de la proviseure de leur lycée Auguste-Blanqui, de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Des enseignants et des conseillers principaux d’éducation (CPE), mais aussi des élèves que Marlène Guinier a interceptés il y a quelques minutes dans le hall en verre de l’établissement, en plein bouillonnement lors de cet intercours matinal. Ce n’est pas tous les jours qu’Auguste-Blanqui, classé en zone sensible, est montré en exemple dans un média.

Les indicateurs de valeur ajoutée des lycées, que le ministère publie chaque année au printemps, placent en effet cette année l’établissement parmi les vingt lycées les plus performants en France en termes de « valeur ajoutée » sur le taux de réussite au bac. Autrement dit : la performance de ses élèves au bac 2016 par rapport à ce qu’on pouvait attendre d’eux.

A Blanqui, elle est de 10 points supérieure pour les séries générales et technologiques à celle des établissements au profil similaire (âge, sexe, origine sociale, niveau d’entrée en seconde). Mieux : ce taux a progressivement gagné plus de 21 points en quatre ans. En 2012, il était de − 11, soit bien en dessous de ce que l’on pouvait attendre de l’établissement. « C’est l’ampleur de la progression, au regard de la situation de notre établissement, qui nous surprend le plus », commente Axel Porin, professeur d’histoire-géographie. Au lycée Blanqui, 46 % des élèves sont boursiers, 62 % sont enfants d’ouvriers ou d’inactifs.

Comment expliquer cette amélioration ? Certes, des facteurs extérieurs jouent, « notamment le super boulot que font de plus en plus, en amont du lycée, les collèges du secteur, qui nous envoient des élèves plus scolaires et curieux », commente Marlène Guinier, qui a pris la tête du lycée en septembre 2014. Mais, dans la salle, plusieurs voix évoquent en premier lieu la « forte relation de proximité » qui s’est développée au fil des années entre les professeurs et les lycéens. « On peut leur parler de nos soucis personnels, ou leur envoyer des mails quand on ne comprend pas quelque chose, ils répondent à chaque fois très vite, et n’importe quand, ils sont toujours disponibles pour nous », illustre Sirine, élève de terminale ES. Ici, peut-être plus qu’ailleurs, l’enseignant est considéré comme un adulte référent « à l’écoute », complète le CPE Ronan Aubert. Au point que, même après être parti du lycée, il n’est pas rare de voir revenir des élèves à la recherche de « quelques conseils pour la suite de leurs études ».

« Une vie scolaire qui tourne bien »

Cette relation de proximité entre adultes et jeunes se développe au fil des années, facilitée par la stabilité de la composition des classes. Mais surtout par celle des équipes pédagogiques qui se transmettent d’année en année, plus qu’avant, les bonnes pratiques.

Cette relation repose aussi sur les effectifs des classes, entre 24 et 30 au maximum, selon les niveaux, moins importants qu’ailleurs. Une souplesse rendue possible par l’enveloppe budgétaire supplémentaire accordée aux établissements classés en zone sensible. Celle-ci permet ainsi à Auguste-Blanqui d’avoir, entre autres, quatre CPE, neuf assistants d’éducation, une assistance sociale, deux profs principaux par classe. Le tout pour 980 élèves (dont 170 en voie professionnelle, et 80 en prépa littéraire).

Cet investissement supplémentaire, couplé aux « horaires à rallonge des CPE » confie une enseignante, a de quoi faciliter et fluidifier la vie scolaire, malgré des difficultés de discipline récurrentes. « En cas de retard, on n’a même pas le temps d’arriver au lycée que nos parents sont déjà prévenus, sourit Shana, en seconde professionnelle. Les CPE savent si on s’est fait exclure d’un cours même si on ne le leur dit pas. » Les enseignants apprécient : « Je n’ai jamais vu une vie scolaire qui tourne aussi bien, confirme Margaux Canet, professeur d’espagnol, jamais une sanction prise contre un élève en classe n’est remise en cause ou minimisée par un autre adulte. »

Un travail de cohérence de l’action des équipes éducatives, et de l’utilisation des budgets alloués, au cœur du projet de la proviseure Marlène Guinier depuis son arrivée. Les enseignants lui savent gré, par exemple, d’avoir mis en place une réunion de coordination qui a rendu plus efficaces les deux heures d’accompagnement personnalisé hebdomadaire auxquelles ont droit les élèves.

Dernier ingrédient de cette recette ayant, selon ses acteurs, permis à Auguste-Blanqui de remonter la pente de la réussite depuis cinq années : « Ici, l’éducation passe aussi par la culture », commente la proviseure. Et par une vie scolaire et lycéenne aujourd’hui foisonnante : ateliers théâtre, journal lycéen, sorties au musée ou au cinéma, jurys littéraires lycéens… se multiplient d’année en année. Autant de projets communs permettant de faire travailler différemment les élèves avec leurs professeurs. Mais surtout de donner à toute cette communauté une même identité, un projet commun, à même d’atténuer, au moins depuis quelques années, le poids des inégalités sociales.