A Londres, une attaque terroriste touche le coeur du pouvoir
A Londres, une attaque terroriste touche le coeur du pouvoir
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
A 14 h 40, mercredi, un terroriste isolé a frappé le cœur de la capitale britannique, causant la mort de quatre personnes et en blessant trente autres, avant d’être abattu.
De Westminster à Trafalgar Square, le quartier le plus touristique et l’un des plus animés de Londres est plongé, mercredi 22 mars après-midi, dans un silence étrange, un silence de mort. Seules les ambulances et les voitures de police circulent au-delà des barrages où s’agglutinent les journalistes.
Sur le pont de Westminster, le spectacle que seul l’hélicoptère de la BBC permet de voir de près, est plus saisissant encore : les bus à impériale de couleur rouge et d’autres véhicules sont figés pour permettre aux enquêteurs de travailler, comme si le temps s’était arrêté à 14 h 40.
C’est à ce moment précis, sur ce pont noir de monde à toute heure, paradis des amateurs de selfies entre London Eye (la grande roue) et Big Ben, qu’a commencé un après-midi de cauchemar comme la capitale britannique n’en avait pas connu depuis les attentats de 2005 qui avaient causé la mort de 56 personnes dans le métro.
Cœur battant de la plus vieille démocratie du monde, l’endroit choisi par le conducteur de la Hyundai i40 grise, un homme vêtu tout de noir portant une barbe qui a foncé sur la foule, ne peut pas être plus emblématique.
Une vingtaine de passants fauchés
Le SUV fou venant de la rive sud de la Tamise, a traversé le pont en fonçant sur le trottoir. Il a fauché une vingtaine de passants sur le pont lui-même, dont une femme qui est tombée ou a sauté dans la Tamise et y a été repêchée vivante mais grièvement blessée. Passé le pont, il a continué avant d’aller s’encastrer dans les grilles qui délimitent l’emprise du Parlement, juste après Big Ben, là où s’interrompent de lourdes barrières de protection.
Il a alors jailli du véhicule et couru jusqu’à une entrée interdite au public et sérieusement gardée, à l’angle de Parliament Square, juste en face de la statue de Churchill. Il a poignardé à mort un policier de faction avant d’être abattu alors qu’il se ruait sur un deuxième.
Selon le bilan publié par Scotland Yard, l’attentat rapidement qualifié de « terroriste » a causé la mort de quatre personnes dont le policier visé, et en a blessé trente.
Parmi ces derniers se trouvent trois élèves français du lycée Saint-Joseph de Concarneau (Finistère). Johan, élève de seconde dans cet établissement, a vu arriver la voiture « sur le côté » alors que, marchant avec les trente-six élèves de sa classe, il venait de dépasser le pont. « Il y avait une barrière qui nous séparait mais elle a cédé et la voiture a foncé sur les élèves, a-t-il dit à Ouest France. On l’a vue et entendue arriver. »
Theresa May exfiltrée en trombe du Parlement
A l’intérieur de Parlement, la séance est arrêtée mais les parlementaires y restent confinés jusqu’au début de la soirée. Pendant un temps, une rumeur court selon laquelle un autre assaillant est présent dans le palais.
La première ministre, Theresa May, était présente dans le « lobby » à moins de cent mètres de l’agresseur. Elle a été exfiltrée en trombe dans une Jaguar métallisée de la police. Certains élus ont trouvé refuge à Westminster Abbey où un responsable policier s’est adressé à eux du haut de la chaire. Même les nacelles-bulles du London Eye se sont arrêtées de tourner et les touristes y ont été coincés par mesure de sécurité pendant trois heures.
L’attentat a aussi son héros, le député conservateur Tobias Ellwood, ministre chargé du Moyen-Orient et de l’Afrique, qui a tenté en vain de sauver le policier poignardé. « J’ai cherché à stopper l’hémorragie et je lui ai fait du bouche-à-bouche en attendant l’arrivée des médecins, mais je crois qu’il avait déjà perdu trop de sang », a raconté l’élu, un ancien militaire qui avait perdu un frère lors de l’attentat de Bali (Indonésie) en 2002 et dont la photo, le visage tâché de sang, a été reprise hier par tous les médias.
Du monde entier, les messages de condoléances et de solidarité ont afflué. Faisant allusion aux récents attentats en France, le président François Hollande a dit « savoir ce que les Britanniques endurent ». « C’est au niveau européen qu’il faut s’organiser », pour affronter le terrorisme, a-t-il ajouté alors que Mme May doit engager, mercredi 29 mars, la procédure de divorce avec l’Union européenne (UE).
Drapeaux en berne
Donald Trump a salué « la réponse rapide de la police britannique » et la chancelière Angela Merkel a « réaffirmé que l’Allemagne et ses citoyens se [tenaient] fermement (…) aux côtés des Britanniques dans la lutte contre toute forme de terrorisme ».
Et tandis qu’à Paris, les illuminations de la tour Eiffel étaient éteintes à minuit sur décision de la maire Anne Hidalgo, les drapeaux étaient mis en berne sur Downing Street.
En Ecosse, l’attentat a eu pour conséquence inattendue d’interrompre un débat au Parlement d’Edimbourg considéré comme crucial. Il devait aboutir au vote, mercredi soir, d’un texte demandant à Londres l’organisation d’un second référendum sur l’indépendance.
Selon Mark Rowley, le chef de la police antiterroriste, l’assaillant était « inspiré par le terrorisme international ». Scotland Yard laisse entendre qu’elle connaît son identité mais ne l’avait pas divulguée, jeudi 23 mars au matin.
« La police protège toutes les communautés du Royaume-Uni, a tenu à rappeler, mercredi soir, M. Rowley. Nous sommes conscients que les communautés musulmanes vont s’inquiéter à présent, étant donné le comportement de l’extrême droite dans le passé, et nous continuerons à travailler avec tous les leaders communautaires dans les prochains jours. »
Pas question de se laisser intimider
Londres avait été épargnée ces dernières années par les attentats de grande ampleur à la différence d’autres métropoles européennes. Mais en août 2014, le niveau d’alerte terroriste au Royaume-Uni avait été porté d’« important » à « grave », le quatrième de cinq échelons. « Nous avons la meilleure police et les meilleurs services de renseignement du monde », a assuré la ministre britannique de l’intérieur, Amber Rudd.
Le policier tué ne portait pas d’arme et l’attentat va probablement relancer le débat sur l’équipement des « bobbies », comme celui sur les mesures de sécurité aux abords du Parlement. Mais l’idée de cadenasser Westminster ne passe pas. « Nous sommes accessibles car nous sommes élus. Nous sommes une démocratie, a déclaré l’ancien ministre Iain Duncan-Smith. Il n’est pas question de transformer le Parlement en forteresse. »
Theresa May a appuyé ce message en condamnant avec émotion et force une attaque « écœurante et perverse » visant à dessein « un endroit où les gens de toutes nationalités, religions et cultures se retrouvent pour rendre hommage aux valeurs de liberté, de démocratie et de libre expression ».
La vie continue, pas question de se laisser intimider, a-t-elle dit devant la porte noire de Downing Street, alors que la nuit était tombée. « Demain, comme d’habitude, le Parlement se réunira, a poursuivi Mme May. Comme d’habitude, les Londoniens marcheront dans les rues (…), vivront leur vie. »
De Trafalgar Square à Westminster, pourtant, le bruit de la foule sonnera plus grave.