Avant l’attaque de Londres, « les Britanniques se sentaient en sécurité »
Avant l’attaque de Londres, « les Britanniques se sentaient en sécurité »
Le correspondant du « Monde » à Londres, Philippe Bernard, a répondu aux questions des internautes, jeudi 23 mars, après l’attentat perpétré à proximité du Parlement britannique.
Un « bobby » rend hommage aux victimes de l’attaque à proximité du Parlement britannique, à Londres, le 23 mars. | DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP
Vingt-quatre heures après l’attentat perpétré à proximité du Parlement britannique, qui a fait trois morts et une quarantaine de blessés, Philippe Bernard, le correspondant du Monde au Royaume-Uni, a répondu dans un tchat, mercredi 23 mars, aux questions des internautes. Compte rendu.
Darvin : Bonjour, avons-nous des informations sur le profil de l’auteur de l’attaque ?
Philippe Bernard : Bonjour. Il s’agit de Khalid Masood, 52 ans, né dans le Kent et domicilié dans la région de Birmingham [nord de l’Angleterre]. C’était un délinquant connu de la police, mais il n’avait jamais été poursuivi pour des faits liés au terrorisme. Il avait été condamné pour coups et blessures, possession d’armes offensives et atteinte à l’ordre public. Sa première condamnation remonte à 1983 pour dégradations, et sa dernière à 2003 pour port d’arme blanche – un couteau.
Emilien : Est-ce le premier acte revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI) sur le sol britannique ?
A ma connaissance, oui. Mais le nombre de jeunes Britanniques partis combattre en Syrie est élevé et le risque d’un passage à l’acte de l’un d’entre eux est soulevé depuis longtemps. Cela dit, il faut attendre d’en savoir plus sur l’identité et le profil de l’assaillant pour savoir si la revendication du prétendu Etat islamique est crédible ou non.
Dila : Pourquoi le policier assassiné ne portait pas d’arme ? Il n’y a pas d’équivalent au plan Sentinelle au Royaume-Uni ?
Tous les policiers britanniques sont loin d’être armés. La question de leur armement fait l’objet d’un débat récurrent qui va reprendre, à n’en pas douter, après cette attaque. De même, on parle déjà du renforcement de la sécurité de l’entrée du Parlement qu’a tenté de forcer l’assaillant mercredi. Elle pourrait être fermée. Mais les parlementaires tiennent à maintenir Westminster comme un lieu ouvert au public.
Mathieu Coulon : Cet attentat réveille-t-il au Royaume-Uni les blessures des attentats de juillet 2005 ? Les Anglais se sentaient-il à l’abri depuis la fin proclamée du « Londonistan », la nébuleuse islamiste londonienne ?
C’est tout à fait clair : l’attentat de mercredi renvoie violemment les Britanniques et en particulier les Londoniens à ce qu’ils appellent le « 7/7 », c’est-à-dire aux attentats commis le 7 juillet 2005. Ce jour-là, 56 personnes, y compris les quatre kamikazes, ont trouvé la mort au cours de quatre attaques coordonnées revendiquées par Al-Qaida.
L’attentat de Westminster remet aussi en mémoire l’agression du 22 mai 2013 perpétrée par deux Londoniens d’origine nigériane contre un soldat britannique de 25 ans, Lee Rigby. Après l’avoir renversé en voiture, ils l’avaient lardé de coups de couteau et tenté de le décapiter. Sur une vidéo, ils prétendaient venger « les musulmans tués par des soldats britanniques ».
Les Britanniques se sentaient en sécurité, mais il était évident depuis les attaques commises sur le continent, notamment à Paris et à Bruxelles, que Londres serait visée un jour. Les autorités répétaient régulièrement que la menace terroriste était présente. En août 2014, le niveau d’alerte avait été porté d’« important » à « grave ».
TerTer : Y a-t-il une tentative d’exploitation de l’attaque par l’extrême droite ?
Pas de façon ouverte ni relayée par des médias importants, que je sache. Mais des messages antimusulmans se sont multipliés sur la Toile. A noter la déclaration, hier soir, du patron de l’antiterrorisme, Mark Rolley : « La police protège toutes les communautés du Royaume-Uni. Nous sommes conscients que les communautés musulmanes vont s’inquiéter à présent, étant donné le comportement de l’extrême droite dans le passé, et nous continuerons à travailler avec tous les leaders communautaires dans les prochains jours. » Il fait allusion à l’assassinat, juste avant le référendum de juin 2016 sur le Brexit, de la députée Labour Jo Cox par un militant d’extrême droite.
Est-ce que cela peut entraîner une montée du sentiment antimusulman et remettre en cause la position du maire de Londres ?
Le risque d’exploitation raciste existe, évidemment. Mais depuis hier en particulier, les autorités prennent soin de s’adresser explicitement à toutes les communautés, qu’elles associent à la consternation nationale. Cela a particulièrement été vrai ce matin lors de la longue séance des questions à Theresa May à la Chambre des communes.
Quant à Sadiq Khan, le maire de la capitale, il a certes été élu après une campagne où il mettait en avant l’islam comme l’une des facettes de son identité, mais il n’est pas d’abord vu comme un « maire musulman ». Hier, il a déclaré que « les Londoniens ne se laisser[aie]nt pas intimider par les terroristes ».
Jean : Est-ce que cet événement fait réagir les Britanniques sur le Brexit ? L’attentat a-t-il été récupéré par les tenants de la sortie de l’UE ?
Pour l’instant non, à ma connaissance. La première réaction, très nette, est de créer un sentiment d’unité nationale. Jeudi matin à la Chambre des communes, les élus de tous les partis ont rendu hommage à la manière dont Theresa May s’est fièrement exprimée mercredi soir. C’est un acquis pour elle à quelques jours de l’activation officielle de la procédure de sortie de l’UE, prévue mercredi 29 mars.
« Nous n’avons pas peur », lance Theresa May devant le Parlement
Durée : 00:55
J44 : Quelles sont les politiques de déradicalisation au Royaume-Uni ?
Les Britanniques sont des pionniers en la matière, ayant développé ces politiques depuis les attentats de 2005. Le principal programme, baptisé « Prevent », vise la « prévention de l’extrémisme violent ». Il s’agit de repérer les personnes vulnérables et de les empêcher de franchir les étapes conduisant au terrorisme. Au tout début, l’Etat a distribué des subventions à une soixantaine de municipalités à forte population musulmane. Mais cela a amené des dérives : des associations ont été créées juste pour recevoir des subventions sous couvert de lutte contre l’extrémisme.
En 2010, le gouvernement conservateur de David Cameron a resserré le dispositif et a ciblé non plus seulement le passage à l’acte, mais aussi l’idéologie islamiste. Mais les dissensions entre le ministère de l’intérieur, chargé du volet antiterroriste, et le ministère des collectivités locales, qui gère la « prévention de l’extrémisme », ont semé la confusion et affaibli Prevent. Une loi de 2015 oblige tous les agents publics à dénoncer les comportements suspects.
Palladio : Les Etats occidentaux ont fait d’énormes dégâts humains au Moyen-Orient avec leurs guerres, leur refus de résoudre le conflit israélo-palestinien. Est-ce qu’au Royaume-Uni cet aspect du problème dans le terrorisme est évoqué ?
Au lendemain de l’attaque, les motivations de l’assaillant restent à élucider. Mais la responsabilité des Occidentaux dans la déstabilisation de l’Irak est évidemment débattue, en particulier sous l’angle des mensonges de Tony Blair qui lui avaient permis de justifier l’envoi de soldats britanniques. Un acte que les Britanniques ne lui pardonnent pas.