Le président de la Tanzanie fait fi de la liberté de la presse
Le président de la Tanzanie fait fi de la liberté de la presse
Le Monde.fr avec AFP
Le ministre de l’information, qui exigeait des sanctions contre un gouverneur pour des pressions exercées sur un média, a été limogé par le chef de l’Etat.
Un gouverneur menaçant de prison l’équipe d’une chaîne de télé si elle ne diffuse pas une vidéo compromettante sur l’un de ses opposants, un président évinçant le ministre qui recommande des sanctions contre ce gouverneur : telle est l’atmosphère dans la région de Dar es-Salaam, en Tanzanie.
Nape Nnauye, ministre de l’information en place depuis décembre 2015, a été limogé et remplacé par le ministre de la justice, Harrison Mwakyembe, a indiqué un bref communiqué de la présidence publié jeudi 23 mars.
Ce remaniement intervient quelques jours seulement après le début d’un scandale qui met en cause le gouverneur de la région de Dar es-Salaam, Paul Makonda, nommé à son poste il y a un an par le président Magufuli lui-même. Selon l’enquête de la commission parlementaire, diligentée à la mi-mars par le désormais ex-ministre de l’information et publiée mercredi soir, le jeune poulain de John Magufuli a fait irruption avec six hommes armés, le 17 mars, dans les studios de la télévision privée Clouds FM et a menacé l’équipe de prison si elle ne diffusait pas son « programme », une vidéo dans laquelle une femme avoue avoir eu un enfant adultérin avec Josephat Gwajima, un célèbre pasteur, fondateur de l’église Gloire au Christ de Tanzanie (GCTC).
Selon le quotidien tanzanien The Citizen, le gouverneur a menacé d’impliquer les producteurs, présentateurs et sponsors dans une affaire de trafic de drogue qui les conduirait en prison. Sous pression, les employés n’ont osé révéler cette intrusion que deux jours plus tard. Toujours selon The Citizen, les commissionnaires ont tenté d’entrer en contact avec le principal intéressé en se rendant sur son lieu de travail, mais celui-ci a pris la fuite.
Des sanctions exigées
Ce n’était pas la première fois que le gouverneur régional entrait dans les locaux de chaîne. Le 14 mars, il avait passé la nuit avec l’équipe afin de travailler sur un programme spécial destiné à célébrer le premier anniversaire de son arrivée au poste de gouverneur.
Après avoir reçu le rapport de la commission parlementaire lundi, le ministre de l’information Nape Nnauye a recommandé des sanctions contre le gouverneur et a déclaré que ce document devait servir de leçon aux hommes politiques. « J’ai la responsabilité de protéger les médias et la liberté d’expression dans ce pays et si j’échouais dans cette mission, je ne mériterais pas d’occuper ce poste. Je vais recommander à mes supérieurs de prendre des mesures punitives contre le gouverneur. »
La secrétaire exécutive du Centre juridique et des droits de l’homme (LHRC, principale ONG tanzanienne de défense des droits humains), Helen Kijo-Bisimba, a exigé « des sanctions administratives et pénales » contre le gouverneur, tandis que le nouveau bâtonnier de l’ordre des avocats du pays réclamait son limogeage pur et simple.
Mais l’enregistrement de l’incident par les caméras de vidéosurveillance et le soutien ouvert du président à son gouverneur, sans attendre la fin de l’enquête, ont provoqué un tollé dans le pays. « Moi, en tant que président, je ne me laisse pas dicter ce que je dois faire. C’est moi qui décide qui doit être où. Ainsi donc, toi, Paul Makonda, fais ton travail et ignore le reste », a martelé le chef de l’Etat lundi, en marge de l’inauguration d’un chantier.
« Piétinement de la liberté de presse »
Les médias n’ont pas tardé à défendre leurs homologues. Mercredi, le Forum des éditeurs de Tanzanie et l’Union des clubs de la presse de Tanzanie ont qualifié M. Makonda d’« ennemi de la liberté de presse », « de même que toute personne qui le soutient ou le soutiendra dans le piétinement de la liberté de presse ». Les deux associations ont décidé de suspendre jusqu’à nouvel ordre toute couverture des activités du gouverneur.
Surnommé « Tingatinga », « bulldozer » en swahili, le président Magufuli a marqué les esprits depuis son élection en déployant un style inhabituellement direct, voire abrupt, dans son exercice du pouvoir. Au point que ses détracteurs le qualifient désormais d’autoritaire et de populiste.
Selon Reporters sans frontières, le début de sa présidence coïncide avec un durcissement vis-à-vis des médias : plusieurs radios ont été suspendues en l’espace de quelques mois et une dizaine de personnes sont poursuivies en raison de commentaires critiques ou ironiques sur les réseaux sociaux. Quant à l’ex-ministre qui devait tenir une conférence de presse jeudi après-midi dans un hôtel de Dar es-Salaam, il a dû se contenter de délivrer son message depuis sa voiture. L’homme politique a appelé les Tanzaniens à penser avant tout à leur pays : « Notre souci ne doit pas être Nape, mais là où va la Tanzanie. »