Image extraite d’une vidéo du collectif Osons causer. | Osons Causer

Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et dernièrement Emmanuel Macron, ces candidats à la présidentielle ont fait le choix d’investir YouTube pour diffuser leur message. Mais ils sont loin d’être les premiers à le faire sur la plate-forme de Google. Depuis plusieurs années, des youtubeurs français produisent des contenus politiques sur le site d’hébergement de vidéos. Certains y ont même fidélisé plusieurs centaines de milliers d’abonnés.

En multipliant les canaux de diffusion, la chaîne Osons causer a même obtenu six millions de vues pour une vidéo sur Emmanuel Macron. Ces youtubeurs, orientés à gauche, voient donc leurs productions diffusées à une large échelle. Au point de leur conférer une influence sur le scrutin ?

« Tenir un autre discours critique que celui de l’extrême droite »

Ce n’est pas vraiment avec l’idée de jouer un rôle sur la scène politique que ces vidéastes se sont lancés sur YouTube. « Nous voulions surtout servir de relais, de passeurs entre l’université et le grand public. L’objectif était de vulgariser des concepts de sociologie et de proposer d’autres analyses contestataires que celles de l’extrême droite ou d’Alain Soral », expliquent Stéphane Lambert, Xavier Cheung et Ludovic Torbey, d’Osons causer.

« Je voulais militer pour l’action citoyenne en analysant des mouvements sociaux en gestation et le rôle joué par certains personnages, raconte Usul, l’un des premiers à avoir lancé une chaîne politique, en 2014. L’objectif était aussi de tenir un autre discours critique que celui de l’extrême droite, qui a longtemps été en monopole sur Internet. »

Au-delà de cette volonté de faire barrage à l’extrême droite, ces vidéastes partagent une orientation générale de gauche radicale et des inspirations communes telles que l’économiste Frédéric Lordon. Il est d’ailleurs intéressant de constater que droite et gauche modérées sont peu représentées par des youtubeurs. « Il existe bien sûr des youtubeurs de droite, de gauche modérée ou centristes, mais ceux-là ne ressentent pas le besoin de partager leurs opinions et leurs analyses politiques », explique Anaïs Theviot, chercheuse en sciences politiques au Centre de recherche administratives et politiques (CRAP). « Les autres couleurs politiques ne sont pas présentes sur YouTube tout simplement parce que leurs idées sont déjà portées par les grands médias », soutient Usul, passé par la Ligue communiste révolutionnaire dans sa jeunesse.

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Durée : 31:06

Beaucoup ont commencé leur parcours en évoquant d’autres thèmes. Usul était auparavant réalisateur d’une émission de jeux vidéo. La chaîne de Dany Caligula traitait, quant à elle, seulement de philosophie. « Mes vidéos évoquaient la politique par le biais de la philo. C’est avec le contexte de la campagne que j’ai commencé à parler spécifiquement de politique dans la série de vidéos “Qui choisir ?”, où chaque candidat est utilisé pour dévoiler un trait du système politique. Mais l’idée n’est surtout pas d’en soutenir un », souligne cet abstentionniste convaincu.

« Intéresser leur public à la politique »

Ces youtubeurs se veulent engagés, pas militants. Mais leur discours, orienté à gauche, peut-il avoir une influence sur le vote de leur public ? « Sur Internet, les algorithmes de recherche orientent les gens vers les contenus selon leurs préférences. Cela crée des bulles filtrantes et certains se retrouvent à ne prêcher que des convaincus, explique Anaïs Theviot. Mais les contenus des gros youtubeurs, très partagés, deviennent viraux et touchent un très large public. »

Leur audience est globalement assez jeune. Beaucoup d’abonnés ont entre 18 ans et 30 ans, leur culture politique est en formation. « L’objectif de ces vidéastes est précisément d’intéresser leur public à la politique. Ils vont peut-être changer quelques votes, mais leur vraie influence est d’offrir aux jeunes un autre éclairage que celui de leurs milieux sociaux », précise la chercheuse du CRAP.

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Pour s’adresser à un public jeune, il faut savoir se rendre accessible. Fabrice Barnathan, de la chaîne Le Stagirite, ne s’en cache pas, « quelqu’un qui regarde une vidéo de Norman doit pouvoir passer à une des miennes sans se sentir dépaysé, même si le propos est différent, plus complexe. C’est justement l’un des avantages de YouTube, on peut y parler du fond », explique cet ancien professeur de philosophie. Ironie, effets de montage, voix off, chacun sait mettre à profit les codes de la plate-forme pour faire passer son message. Les youtubeurs ont recours à ces recettes pour essayer de mettre en place un lien horizontal avec leur public.

Peser en faveur de la gauche

Dans la recherche de la viralité, certains vont cependant plus loin. Osons causer, qui collabore pour la durée de la campagne avec Mediapart, a fait le choix de privilégier les contenus courts en lien avec l’actualité et de les diffuser sur Facebook. Résultat, la vidéo intitulée « Qui est vraiment Emmanuel Macron ? », pensée pour le réseau social de Mark Zuckerberg, a été vue des millions de fois. « On ne gagne pas d’argent en diffusant sur Facebook, explique le trio d’Osons causer. Mais ça nous donne accès à un public bien plus large. Et comme notre objectif est de gagner la bataille culturelle, nous allons continuer. »

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Durée : 05:49

Cette bataille culturelle n’est pas sans lien avec la bataille électorale. Osons causer refuse à l’heure actuelle de soutenir un candidat, mais veut peser en faveur de la gauche :

« Nous ne voulons pas faire la campagne de quelqu’un ou devoir cautionner des idées qu’on ne partage pas. Ce serait contre-productif et on aurait tout à y perdre. Par contre, si on peut dissuader des gens de voter pour certains candidats, on ne va pas se priver… »

C’est précisément l’objectif des dernières vidéos, très critiques à l’égard de François Fillon et d’Emmanuel Macron.

Scission au sein du collectif opposé à la loi El Khomri

Ce fonctionnement ne plaît pas toujours aux autres youtubeurs, dont une bonne partie souhaite rester à l’égard du monde politique. Par ailleurs, les divergences ont éclaté au grand jour l’année dernière avec la scission du collectif OnVautMieuxQueCa. Ce groupe rassemblait les youtubeurs de gauche opposés à la loi El Khomri. Après avoir eu un rôle important dans l’organisation des protestations contre la loi, il a volé en éclats au bout de quelques semaines. « Nous n’étions pas d’accord sur le sens que nous voulions donner au collectif, mais aussi sur les stratégies à adopter, raconte Dany Caligula. Osons causer et d’autres voulaient aller dans les médias, devenir les porte-parole du mouvement. Alors que notre objectif était de permettre à tout le monde de s’exprimer sans porte-parole. »

Aujourd’hui, le collectif existe toujours, mais Osons causer et d’autres youtubeurs en ont été exclus.

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Entre les vidéastes restés proches de la sphère politique classique et ceux qui misent tout sur l’éducation populaire et la société civile, une rupture s’est produite. Il existe toujours une proximité entre les deux mais les buts visés ne sont pas les mêmes. « Je me place moi aussi dans une bataille culturelle, explique Usul, mais je ne suis pas prêt à toutes les concessions. Je veux parler du fond sans être simpliste ou trop bref. Je ne suis pas allé sur YouTube pour retrouver le même fonctionnement que les partis politiques. Le risque, bien sûr, c’est de restreindre mon public. »

Les partis pris diffèrent donc, les audiences aussi. Dany Caligula et Usul plafonnent sous les 200 000 abonnés quand Osons causer se classe dans le top des vidéos les plus vues sur Facebook. A l’approche d’une élection, cette capacité à toucher une large audience peut compter. Mais celui qu’on entend le plus n’est pas forcément celui qu’on écoute le mieux.