Partir faire ses études hors des sentiers battus
Partir faire ses études hors des sentiers battus
Par Agathe Charnet
Près de 30 % des étudiants français optent pour des stages ou des échanges universitaires dans des contrées « exotiques ». Des choix qu’il faut ensuite défendre et valoriser une fois sur le marché du travail.
« Quand j’ai annoncé que je partais en échange au Kirghizistan, soit les gens ne connaissaient pas l’existence du pays, soit ils se demandaient vraiment ce que j’allais faire là-bas », s’esclaffe Dimitri Rechov, 20 ans, étudiant à Sciences Po. Le jeune Français d’origine russe se sent à présent comme chez lui dans les rues de Bichkek, capitale kirghize, qu’il arpente depuis près de six mois. Même stupéfaction teintée d’amusement du côté des proches d’Axel Montu, étudiant à Neoma Business School, lorsqu’il a choisi l’effervescence de Bangkok, en Thaïlande, pour son année hors les murs.
Si les capitales européennes et l’Amérique du Nord sont plébiscitées par les étudiants français lors de leurs stages et séjours d’échanges universitaires à l’étranger, 28,4 % d’entre eux se tournent vers d’autres contrées, selon une enquête menée en 2015 par Campus France auprès de 6 859 étudiants. L’Asie et l’Océanie attirent 12,3 % des étudiants interrogés, tandis que 7,1 % ont pris la route de l’Amérique centrale et du Sud. L’Afrique, le Moyen-Orient et les pays hors Union européenne rassemblaient 9 % du panel.
Chine, Liban et Mexique : des destinations prisées
Choisir un pays isolé ou méconnu est-il stratégique pour l’avenir de ces étudiants nomades ? Gabriela Rehorova Crouzet, directrice adjointe des Affaires internationales et des échanges à Sciences Po, identifie trois grands types de motivation pour ces destinations. « Les étudiants qui souhaitent approfondir une langue étrangère précise, comme l’arabe ou le portugais. Ceux qui organisent leur projet professionnel autour d’un pays émergent. Et ceux qui souhaitent vivre une expérience hors des sentiers battus », décrit-elle.
A Sciences Po, où la triade Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada continue d’avoir la préférence des élèves, la Chine, le Liban et le Mexique ont pris place dans le classement des dix pays accueillant le plus grand nombre d’étudiants en 2017. « Les vœux des élèves varient considérablement selon les années, observe Gabriela Rehorova Crouzet. Ils sont aussi le reflet de la situation géopolitique. On constate cette année une baisse de demandes pour l’Amérique latine et une hausse pour la Russie. »
C’est d’ailleurs dans le but de perfectionner son russe et par attrait pour la région que Dimitri Rechov a fait le choix de Bichkek. « Il m’a fallu un petit temps d’adaptation, confie le jeune homme. Une Française qui ne s’acclimatait pas est partie au bout d’un mois. » Car s’immerger, à 20 ans, dans un quotidien radicalement différent peut être vécu comme un choc. « Ma première soirée à Bangkok, je l’ai passée seul dans ma chambre à me demander ce que je faisais là », se souvient Axel Montu.
Pour les parents, c’est aussi une source d’inquiétude. Frédérique Morisset, mère de Carmen Bailly, étudiante à l’Institut des hautes études d’Amérique latine à Paris, n’était pas rassurée à l’idée de laisser sa fille de 20 ans partir seule pour Mexico : « Aujourd’hui, on voit que tout se passe très bien, mais on lui téléphone au moins une fois par semaine. » Mais les étudiants qui choisissent des destinations moins classiques font l’objet d’attentions particulières de la part des établissements.
A l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Grenoble, qui envoie des étudiants au Brésil et en Russie, un entretien préalable au départ permet de sonder les motivations. « Il nous est arrivé de refuser des échanges à des étudiants qui ne nous semblaient pas assez mûrs », indique Sophie Goujon-Chambon, responsable du pôle relations internationales de l’IAE, dont le personnel se rend régulièrement dans ses universités partenaires pour vérifier les conditions d’accueil de ses élèves. Aussi lointaine que soit l’envolée, elle demeure donc balisée. « Le but de ces échanges est de familiariser les jeunes élites avec un espace international, explique Bertrand Réau, sociologue. Il y a un dépaysement, certes, mais on n’envoie pas les enfants au coupe-gorge ! »
« Sens de la débrouille »
A l’université Thammasat à Bangkok, Axel Montu est en contact avec la fine fleur du pays, anglophone et rompue aux codes globalisés. « Le niveau de mes cours est très élevé, les étudiants travaillent énormément et ont une immense volonté de réussir », témoigne le jeune homme. D’autres ont une expérience différente. « Les exigences de l’université américaine d’Asie centrale sont moindres par rapport à Sciences Po », décrit Dimitri Rechov. « Le niveau des cours n’était pas poussé », renchérit Marie Sauer, diplômée de Neoma Business School, qui a passé six mois dans une université à Lima, au Pérou. Lors de son séjour, Marie a surtout acquis « le sens de la débrouille » et « un esprit d’aventure ».
Le défi est ensuite de faire valoir les multiples apports de ces séjours peu classiques sur le marché du travail. Pour Cédric Foray, associé chez Ernst & Young, il s’agit de bien défendre son choix. « J’ai tendance à privilégier un candidat qui a passé une année dans une université anglo-saxonne, la maîtrise de l’anglais est primordiale.
Toutefois, si le candidat est capable de justifier son expérience, et qu’il a mené des projets marquants sur place, il peut susciter notre intérêt. » L’engagement de Marie à Lima, au sein d’une association en faveur du droit des femmes, a d’ailleurs été l’objet d’une discussion lors d’un entretien d’embauche réussi. Et si Axel ignore ce qu’il fera de retour de Thaïlande, le jeune homme est certain d’une chose : cette année le fait « vraiment grandir ».