Documentaire sur France culture du 3 au 6 avril à 17 h 03

Adolf Hitler et, à sa droite, Joseph Goebbels, le 10 juillet 1938 à Munich alors qu’ils visitent une exposition consacrée à«  l’art aryen ». | ASSOCIATED PRESS

Alors que le 18 juillet 1937, à Munich, la Maison de l’art allemand est inaugurée en grande pompe au travers d’une exposition consacrée aux chefs-d’œuvre les plus « purs » de la culture germanique s’ouvre le lendemain, en un parfait contrepoids jusque dans la scénographie qui distille l’idée de désordre et de dégoût, une exposition consacrée à l’« art dégénéré ».

Même s’il ne s’agit pas de la première manifestation de cette nature – dès 1934, d’autres se sont tenues en Allemagne –, celle-ci est sans conteste la plus importante. Fruit d’une vaste opération à laquelle participèrent sans résistance tous les musées allemands, cette exposition présente près de 700 œuvres – sur les 20 000 saisies – issues de tous les courants de l’art moderne, honni des nazis : dadaïsme, cubisme, impressionnisme, surréalisme… Gratuite, cette « exposition de la honte » ou ce « musée des horreurs », qui vise à (ré)éduquer le regard des Allemands par le mépris et le rejet, va circuler durant quatre ans dans tout le pays et recevoir près de 3 millions de visiteurs.

Des interlocuteurs de référence

C’est par cette exposition propagandiste que Christine Lecerf, germaniste et spécialiste de littérature autrichienne, a choisi de commencer une passionnante série documentaire, en quatre volets, consacrée à la politique des nazis en matière d’art.

Riche et captivante – voire même émouvante dans l’ultime volet consacré à la question des restitutions –, la haute qualité de cette série tient dans le choix des intervenants dont, pour nombre d’entre eux, les travaux font référence. Que l’on pense à l’historien du nazisme Johann Chapoutot (La Loi du sang. Penser et agir en nazi, Gallimard, 2014), à l’historien d’art Eric Michaud, auteur notamment d’Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme (Folio, 432 pages, 7,70 euros), ou encore à Birgit Schwartz, historienne d’art, spécialiste d’Hitler.

L’autre grande qualité de la série réside dans la manière dont Christine Lecerf articule ces interventions entre l’analyse du discours sur l’art des nazis et la mise en œuvre de leur politique. Partant de la double exposition de 1937, à travers laquelle sont détaillés les fondements théoriques mais aussi les canons de l’esthétique national-socialiste (ce « goût petit-bourgeois qui témoigne de l’échec des nazis à créer de l’art nouveau », souligne l’historien Christian Furhmeister), la productrice se penche tout naturellement sur Hitler – artiste raté qui se considère comme un génie méconnu (idée répandue chez d’autres dignitaires nazis tel Goebbels) – et le lien étroit qu’il noue entre art et pouvoir, en particulier pour façonner les masses. « Le national-socialisme, l’idéologie de la race créatrice », résume Eric Michaud.

Une idéologie qui sélectionne, détruit et spolie les hommes et les objets dans une saisissante similitude. Dès l’annexion de l’Autriche en 1938, le pillage s’organise avant de se généraliser à l’ensemble des territoires occupés, ouvrant « une zone grise » dans laquelle les marchands d’art, mais pas seulement, vont jouer un rôle non négligeable.

Une « zone » sur laquelle, contrairement à l’Autriche ou à l’Allemagne, la France ne semble pas avoir fait toute la lumière, ainsi que le relève durement Birgit Schwartz ou Emmanuelle Pollack, historienne, spécialiste du pillage de l’art en France, qui traque, non sans difficulté, les œuvres douteuses qui s’exposent aujourd’hui encore. Et qui laisse entrouverte une douloureuse et pernicieuse blessure mémorielle.

Christine Rousseau

L’Art dégénéré, de Christine Lecerf (4 x 55 min). Du 3 au 6 avril, de 17 h 03 à 18 heures, sur France Culture.