Diasporas africaines : quatre femmes puissantes
Diasporas africaines : quatre femmes puissantes
Par Ghalia Kadiri (contributrice Le Monde Afrique)
Le 31 mars, à Bordeaux, les Journées nationales des diasporas africaines mettaient les femmes à l’honneur. « Le Monde Afrique » a rencontré quatre intervenantes.
Bordeaux, qui a pratiqué la traite négrière jusqu’en 1834, est-elle devenue la capitale des diasporas africaines ? C’est en tout cas le message qu’a voulu faire passer son maire, Alain Juppé, lors de la cinquième édition des Journées nationales des diasporas africaines (JNDA). Vendredi 31 mars et samedi 1er avril, l’hôtel de ville de Bordeaux a réuni des personnalités françaises et africaines venues parler du rôle des diasporas du continent. « Bordeaux a depuis longtemps des liens étroits avec l’Afrique, pour le pire et le meilleur. Et aujourd’hui, c’est pour le meilleur », a déclaré Alain Juppé à l’ouverture de l’événement.
Les JNDA ont été initiées en 2013 par le maire de Bordeaux et son adjoint chargé des partenariats avec l’Afrique subsaharienne, le Franco-Camerounais Pierre de Gaétan Njikam Mouliom. Cette année, la première journée était placée sous le thème des femmes des diasporas. « Le continent du XXIe siècle est et sera l’Afrique. Nous avons le devoir et l’intérêt d’accompagner ce développement, a insisté Alain Juppé. Il y a évidemment encore beaucoup de choses à faire sur le chemin de l’égalité femmes-hommes. »
Vendredi, dans la salle du conseil municipal de Bordeaux, le public, venu des quatre coins de France et d’Afrique, se bousculait non pas pour saluer Alain Juppé mais pour tenter d’arracher un selfie à une blogueuse, une startupeuse ou une politicienne d’origine africaine. Toute la journée, ces femmes engagées dans des réseaux d’influence entre la France et l’Afrique et portées par des projets ambitieux sont montées sur scène pour faire entendre leur voix. Des entrepreneuses et des militantes aux parcours variés mais toutes devenues des maillons essentiels entre l’Afrique et la France. Rencontre avec quatre d’entre elles.
Leila Aïchi plaide pour la diversité
Leila Aïchi, sénatrice de Paris. | Ghalia Kadiri
Le Sénat français ne compte que 27 % de femmes. Seules trois sont d’origine africaine. Leila Aïchi fait partie de cette très faible minorité incarnant la diversité dans la Haute Assemblée. Sénatrice de Paris depuis 2011, cette avocate au bureau de Paris spécialisée dans les dossiers liés à l’environnement tire sa force de sa famille : des Algériens installés depuis quatre générations en France, qui ont gardé un lien puissant avec leur terre d’origine. « Je viens d’une famille politisée qui m’a fait prendre goût à la politique. J’ai été sensibilisée très jeune aux problématiques environnementales lors de mes voyages en Algérie. Là-bas, je connaissais la valeur de l’eau », raconte la sénatrice de 46 ans.
Leila Aïchi est l’une des premières avocates à avoir attaqué l’Etat sur la question du diesel. Durant son mandat au Sénat, elle a impulsé la création d’une commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air. Egalement vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Leila Aïchi a fait le pari de rendre l’armée plus écolo-compatible. « J’étais seule contre tous, ça n’a pas toujours été facile. Quand on s’appelle Leila, curieusement, les gens ne pensent pas à vous pour des sujets régaliens. »
Derrière son cynisme protecteur, la sénatrice de Paris continue de crier haut et fort son combat pour la parité : « Les représentations politiques ne sont pas à l’image de notre pays. En France, aucun parti ne respecte la parité, et ce malgré la loi. C’est une honte ! » Un discours qui sera entendu, espère-t-elle, lors des élections législatives de juin 2017.
Isabelle Berrier, au service des « repats »
Isabelle Berrier, fondatrice de Welcoming Diasporas | Ghalia Kadiri
Pas Africaine mais panafricaniste : Isabelle Berrier n’a ni famille ni origines en Afrique mais se dit « Africaine de cœur ». Après avoir travaillé sur le continent dès l’âge de 22 ans, cette Française de 34 ans a décidé d’encourager le mouvement des « repats », ces jeunes de la diaspora africaine, bardés de diplômes, qui délaissent aujourd’hui leur pays d’accueil, en Europe ou en Amérique, pour venir saisir les opportunités en Afrique.
En 2016, Isabelle Berrier a lancé Welcoming Diasporas, une plateforme collaborative visant à créer un réseau solidaire et à garantir une aide à chaque étape du retour, lequel n’est pas toujours facile pour ces « repats ». La start-up prévoit également d’accompagner les projets entrepreneuriaux. « Nous avons fait une étude auprès des diasporas et avons trouvé que 85 % des gens veulent revenir avec un projet d’entrepreneuriat, indique Isabelle Berrier. Une nouvelle Afrique est en train de se créer. Il y a beaucoup d’initiatives sur place mais il manque une plateforme pour mettre en synergie toutes les solutions qui existent déjà. »
Encore en phase de test, un projet pilote de Welcoming Diasporas a été lancé au Togo. « Si les résultats sont concluants, nous viserons de plus grosses diasporas au quatrième trimestre de 2017 : au Maroc, au Sénégal, en Algérie et au Mali », annonce Isabelle Berrier. Si elle est convaincue du potentiel africain, une question, selon elle, reste cependant en suspens : « L’Afrique va-t-elle se faire avec ou sans les Africains ? »
Noura Moulali connecte les Français de l’étranger
Noura Moulali, fondatrice de OuiExpat. | Ghalia Kadiri
La benjamine du panel d’intervenantes des JNDA vient de Casablanca. A 27 ans, Noura Moulali a gagné sa place sur la scène du conseil municipal de Bordeaux grâce à ses talents de créatrice et à son audace entrepreneuriale. Cette ingénieure de formation, spécialisée dans le contrôle de gestion, a entamé sa carrière dans un grand cabinet d’audit français, avant de se voir proposer une offre alléchante du groupe Total à Dubaï. « Finalement, j’ai décliné l’offre. Je voulais faire une parenthèse professionnelle », explique la jeune Marocaine.
En 2015, Noura Moulali intègre l’incubateur de start-up Bordeaux Aquitaine Pionnières et y monte son projet numérique : OuiExpat, une application mobile collaborative qui permet d’accompagner et de faciliter l’intégration des Français expatriés. « L’expatriation peut être une belle expérience mais, parfois, certains voient leur vie personnelle exploser. Il y a beaucoup de contraintes une fois sur place, on y pense rarement. L’application aide à y remédier. »
OuiExpat vise particulièrement les femmes. « Je veux aider les femmes qui suivent leur mari à trouver un sens à leur expatriation et faciliter leur recherche de travail », affirme Noura Moulali, qui a elle-même vécu l’expérience à l’âge de 18 ans, lorsqu’elle a quitté son pays pour la France.
Nancy Traoré, au plus près du terrain
Nancy Traoré, conseillère municipale du Bouscat. | Ghalia Kadiri
Elever six enfants ne l’a jamais empêchée de s’investir dans de nombreuses actions caritatives en faveur des diasporas africaines. Nancy Traoré, 44 ans, est une mère de famille engagée et dynamique. Originaire de Côte d’Ivoire, elle est devenue conseillère municipale de sa ville, Le Bouscat (Gironde), et présidente de l’association Afric-fusion, qu’elle a elle-même fondée pour encourager les échanges à travers des spectacles, des expositions et la gastronomie.
« Au Bouscat, on organisait souvent des réunions informelles avec les autres femmes de la communauté. Un jour, le maire a voulu me rencontrer », se souvient la Franco-Ivoirienne. Depuis, elle préside également le collectif FEDA (Femmes issues des diasporas africaines), qui a pour objectif de mettre en avant les talents des femmes des diasporas. « Je ne voulais pas adhérer à un parti. Mon engagement est citoyen. On peut faire de la politique sans faire de politique », affirme-t-elle, déterminée.
A l’hôtel de ville de Bordeaux, Nancy Traoré a voulu prouver au public que, même à petite échelle, l’engagement en faveur des diasporas africaines peut être un moyen de lutter contre les discriminations et d’encourager une meilleure intégration de ces communautés.