Que changerait la reconnaissance du vote blanc ?
Que changerait la reconnaissance du vote blanc ?
Par Anne-Aël Durand
Plusieurs candidats proposent de prendre en compte les bulletins blancs lors des élections. Avec des modalités variées.
En 2015, au second tour des départementales, où la mobilisation est plus faible, les bulletins blancs avaient atteint à eux seuls 5,69 % des voix, auxquels s’ajoutaient 2,63 % de nuls. | CHARLES PLATIAU / REUTERS
De l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par le Parti socialiste, plus de la moitié des candidats à la présidentielle sont favorables à la reconnaissance du vote blanc. Cette proposition, destinée à réduire l’abstention et à mieux prendre en compte les aspirations des électeurs, recouvre des modalités diverses. Explications.
Blanc ou nul, quelle différence ?
A chaque élection sont comptabilisés les inscrits sur les listes électorales, les abstentionnistes (qui ne se sont pas déplacés pour voter), les suffrages exprimés et les votes blancs et nuls. La différence entre les deux, parfois ténue, est précisée dans le code électoral :
- le vote nul est souvent présenté comme une « erreur de manipulation ». Volontairement ou non, il comporte un signe de reconnaissance, qui contrevient au secret du vote. Il peut s’agir d’un bulletin annoté ou déchiré, non réglementaire (format, couleur, papier…) ou déposé sans enveloppe ;
- le vote blanc est une absence de choix qui reste neutre. Il peut prendre la forme d’une enveloppe vide ou d’un bulletin vierge qui doit avoir les mêmes caractéristiques (taille, couleur, grammage) que les bulletins des candidats.
Dans les faits, seules les machines électroniques proposent réellement une option « vote blanc », car dans les bureaux de vote classiques, les bulletins blancs ne sont pas distribués. Certains électeurs s’inquiètent qu’une enveloppe vide peut être facilement repérée par les assesseurs.
Que dit la loi actuelle ?
Les bulletins blancs et nuls ont longtemps été traités de la même façon. Mais les choses ont changé depuis la loi du 21 février 2014. Désormais, « les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins ».
Pour Jérémie Moualek, chercheur en sociologie à l’université d’Evry, spécialiste du vote blanc et nul, cette distinction n’a pas de sens tant que des bulletins blancs ne sont pas distribués dans les bureaux de vote. « Pour ma thèse, j’ai étudié 16 000 bulletins nuls, explique le doctorant. Or, 90 % d’entre eux ont le même esprit qu’un vote blanc. En divisant en deux la même expression volontaire, la loi euphémise le phénomène et ajoute de la confusion. »
Par ailleurs, la prise en compte des votes blancs n’est que symbolique puisqu’ils ne sont pas considérés comme des suffrages exprimés et n’ont donc aucun poids dans le scrutin. S’ils étaient décomptés comme tels, on aboutirait à des situations où le candidat arrivé en tête obtient moins de 50 % des voix, ce qui « peut ouvrir une vraie crise de légitimité du président ainsi élu », estime Martial Foucault, directeur du Cevipof dans un chat sur Le Monde.fr. De plus, selon l’article 7 de la Constitution, « le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Reconnaître le vote blanc pour cette élection nécessiterait donc une réforme constitutionnelle.
Quel est le poids du vote blanc ?
Depuis les années 1980, le nombre de votes blancs et nuls augmente régulièrement. En 2012, au second tour de la présidentielle, 2 154 956 électeurs (soit 5,82 % des votants) s’étaient déplacés aux urnes sans choisir entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. En 2015, au second tour des départementales, où la mobilisation est plus faible, les bulletins blancs avaient atteint à eux seuls 5,69 % des voix, auxquels s’ajoutaient 2,63 % de nuls.
La prise en compte du vote blanc comme des suffrages exprimés fait son chemin dans l’opinion. Une pétition en ligne a rassemblé 272 000 signataires. Selon un sondage réalisé par l’IFOP pour Synopia en mars, 86 % des personnes interrogées y étaient favorables et 40 % se déclaraient prêtes à glisser un bulletin blanc dan l’urne le 23 avril. Un candidat, Stéphane Guyot, s’est même déclaré à la présidentielle au nom du Parti du vote blanc, mais a échoué à recueillir les 500 parrainages d’élus.
Qu’est ce qui existe ailleurs ?
Derrière l’expression « reconnaître le vote blanc » se cachent différentes réalités. Le simple fait de distinguer blanc et nul, comme en France, est une première étape. C’est aussi le cas au Costa Rica ou au Brésil. L’Espagne considère les votes blancs comme « valides », c’est-à-dire qu’ils comptent mais sans être inclus dans les suffrages exprimés. Cela conduit à augmenter le seuil à atteindre pour qu’un parti ait un représentant, sans changer les résultats calculés à la proportionnelle des suffrages exprimés.
En Suisse, les bulletins blancs sont comptabilisés, mais au second tour, seule une majorité relative suffit. La Suède reconnaît le vote blanc comme valide uniquement pour les référendums. Pour que le « non » l’emporte, il doit dépasser la majorité absolue des suffrages, votes blancs compris.
Il est aussi possible de voter pour « aucun des candidats » dans le Nevada ou en Inde, mais cela ne fournit qu’une indication du mécontentement des électeurs, sans modifier le résultat du vote.
C’est en Amérique latine que le vote blanc est le plus développé. En Colombie, le vote blanc peut invalider une élection (mais pas la suivante). Ainsi, dans la ville de Bello, un candidat qui se présentait pourtant sans adversaire a été rejeté en 2011 par une majorité de 56,7 % de votes blancs et n’a pas pu se représenter. Au Pérou, le vote blanc peut aussi invalider une élection s’il représente les deux tiers des suffrages.
Que proposent les candidats à la présidentielle ?
La reconnaissance du vote blanc figurait au programme de François Bayrou, candidat à la présidentielle en 2007 et 2012 ; en 2017, pas moins de sept candidats y sont favorables. « C’est inédit qu’il y en ait autant, et c’est surtout la première fois qu’un candidat socialiste le propose », constate Jérémie Moualek, qui précise que l’intérêt de la classe politique n’est pas si nouveau, puisque l’on compte « au moins soixante et une » propositions de loi déposées sur le sujet sous la Ve République.
Le degré de précision est toutefois différent selon les candidats :
- Jacques Cheminade (Solidarité et progrès) n’aborde pas la question dans sa campagne mais s’y est déclaré favorable dans une réponse aux Décodeurs. De même, Nathalie Arthaud (LO) a répondu favorablement aux défenseurs du vote blanc et souhaite aller plus loin : proportionnelle intégrale, révocabilité des élus…
- Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) intègre dans son programme la « reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé » dans le cadre du vote obligatoire, et Jean Lassalle (Résistons !) propose de le considérer comme un vote pour un candidat, sans autre précision.
- François Asselineau (UPR) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) détaillent le même dispositif : si le vote blanc est majoritaire, le scrutin est réorganisé et les candidats battus ne peuvent pas se représenter.
- Benoît Hamon (PS) souhaite annuler l’élection « si la somme des votes blancs et des abstentions atteint la majorité absolue (50 %) » – ce qui a été le cas lors du premier tour des régionales de 2015. Toutefois, dans son programme présenté en mars, le candidat socialiste se contente de soumettre cette proposition à référendum. Les deux options restent présentes sur son site Internet.
- François Fillon (LR), Emmanuel Macron (En marche !), Marine Le Pen (FN) et Philippe Poutou (NPA) ne font pas figurer la mesure dans le programme.
Que proposent les candidats ?
Les Décodeurs ont compilé environ 3 200 promesses émises par les 11 candidats à l’élection présidentielle 2017, réunies dans 80 thèmes pour permettre une comparaison des positions de chacun sur tel ou tel sujet.