Ligue Europa : un raz de marée de supporteurs turcs attendu à Lyon
Ligue Europa : un raz de marée de supporteurs turcs attendu à Lyon
Par Anthony Hernandez
Lyon est opposé à Besiktas en quarts de finale aller de Coupe d’Europe. Près de 20 000 supporteurs du club turc sont attendus au Parc OL pour une rencontre très surveillée.
Des supporteurs du club de Besiktas lors du match face à Tottenham, à Londres. | BEN STANSALL / AFP
Trois explosions visant le bus du Borussia Dortmund, un joueur opéré au bras et un match de Ligue des champions décalé, les événements de mardi soir en Allemagne ne sont pas de nature à rassurer le football européen.
En conséquence, l’attention et la tension se sont intensifiées chez les responsables de la préfecture du Rhône et de l’Olympique lyonnais. En effet, jeudi à 21 h 05, le club rhodanien accueille un quart de finale de Ligue Europa à haut risque face au Besiktas Istanbul. Avant Dortmund, cette rencontre suscitait déjà quelques craintes : les pouvoirs publics avaient décrété un niveau maximum de sécurité, le niveau 4, celui établi l’été dernier lors de l’Euro 2016, où Lyon avait organisé six matchs.
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« Un stade n’est pas un lieu d’expression politique »
Trois jours avant le référendum controversé du 16 avril organisé par le président turc Recep Tayyip Erdogan, pour renforcer ses pouvoirs, et alors que l’on annonçait un raz de marée impressionnant de supporteurs du club stambouliote, venus de toute l’Europe, le préfet du Rhône avait émis dès le 7 avril un avertissement clair par voie de communiqué. Pas question de laisser la politique s’inviter sur les terrains de football, un message compatible avec l’aversion de l’UEFA pour toutes les formes de revendication, contestation ou manifestation.
« Dans le contexte du référendum, Henri-Michel Comet, préfet de la région Auvergne - Rhône-Alpes, préfet du Rhône, a pris un arrêté interdisant l’accès au stade à tout individu exhibant ou étant porteur des maillots, écharpes, drapeaux, étendards ou banderoles autres que ceux qui porteront les couleurs de la France, de la Turquie ou d’un des deux clubs. Un stade n’est pas un lieu d’expression politique mais exclusivement de soutien à des équipes sportives. »
Alors que, ces derniers jours, 15 000 spectateurs turcs étaient annoncés, la préfecture du Rhône, jointe par Le Monde, table sur un nombre encore plus considérable de « 20 000 à 25 000 », soit plus du tiers d’une enceinte qui contient près de 58 000 places. Le service de presse du préfet a détaillé le dispositif qui va être déployé pour y faire face, en ville et aux abords du Parc OL.
Lyon yolculuğumuz başlıyor.. https://t.co/4FdMVRAj1V
— CarsiBerlin1 (@Çarşı Berlin)
« Le niveau 4 de sécurité est celui qui s’applique lors des gros matchs avec un afflux de supporteurs étrangers qui peuvent être traditionnellement remuants. Ce n’est pas si exceptionnel que ça. Nous mobilisons six compagnies de gendarmes mobiles et de CRS supplémentaires. La fouille dont la responsabilité incombe à l’OL et à l’UEFA sera renforcée… »
Lyon pris au dépourvu
L’OL a d’ailleurs lancé dès mardi matin un appel aux supporteurs à se rendre plus tôt au stade, dès 18 h 30. Le club, qui collabore avec les autorités et l’UEFA, se montre prudent mais confiant. « Il y aura un quadrillage de la ville par les forces de l’ordre. Nous serons prêts beaucoup plus tôt que d’habitude pour accueillir le public. Nous renforcerons les palpations et les fouilles. On sera vigilant pour identifier tout groupe à risques, confie au Monde le manager du Parc OL, Xavier Pierrot. Avant un match comme celui-là, on ne peut pas faire les malins, mais l’expérience de l’Euro a démontré notre savoir-faire et celui des forces de l’ordre. Les rencontres jugées difficiles comme Albanie-Roumanie ou Ukraine-Irlande du Nord se sont bien déroulées. »
Si l’on connaît la ferveur turque pour le football, en particulier celle qui entoure ses trois prestigieux clubs stambouliotes, Galatasaray, Fenerbahçe et donc Besiktas, le nombre impressionnant de fans adverses attendus pour un match de Coupe d’Europe à l’extérieur a de quoi interloquer.
Depuis l’ouverture à la vente des billets, des supporteurs lyonnais ont reproché à leur club de n’avoir pas anticipé le phénomène et craignent de voir leur stade transformé en Vodafone Arena bis (les joies du naming sportif), la nouvelle enceinte du Besiktas inaugurée l’année dernière. Il faut dire que les fans du Besiktas ont un temps détenu le record du monde des décibels dans un stade (141 décibels), seulement détrônés par les supporteurs de… football américain de Seattle et de Kansas City.
En plus du contingent des 2 800 supporteurs officiels puisés dans le carsi (groupe d’ultras du club) qui feront le déplacement des rives du Bosphore, le Besiktas s’est appuyé sur son enthousiaste et nombreuse diaspora européenne qui s’est littéralement précipitée sur les premiers billets.
De son côté, pris au dépourvu, l’Olympique lyonnais a depuis reconnu un déficit de communication envers ses propres supporteurs. « Face à une telle mobilisation, quels que soient les moyens mis en place, rien n’aurait pu empêcher qu’ils soient en nombre au stade. Maintenant, il y a effectivement eu une incompréhension avec nos abonnés et les détenteurs de la carte My OL qui n’ont pas imaginé qu’ils pouvaient acheter leurs places lorsque l’on a débuté la vente pour le grand public », juge Xavier Pierrot.
« Nos supporteurs viendront d’un peu partout »
Jeudi soir, la troisième volée du Parc OL devrait être presque entièrement noire et blanche, aux couleurs de Besiktas. Les volées basses et intermédiaires devraient être réservées aux Lyonnais. « Ça devrait être ainsi même si certains essaient de revendre leur billet en profitant de la forte demande », ajoute le manager du stade.
A 22 ans, Attila Bahar gère depuis la banlieue strasbourgeoise le compte Twitter, non officiel et francophone, intitulé Besiktas France. Il a été très actif pour relayer l’information et mobiliser ses camarades supporteurs du club turc.
« J’ai essayé de donner des conseils pour tout ce qui concerne l’achat des billets. J’ai indiqué la zone du stade où il fallait mieux acheter, par exemple pour ne pas être à proximité des ultras lyonnais, les Bad Gones, déclare le jeune homme qui se veut optimiste. Nos supporteurs viendront d’un peu partout, notamment des pays frontaliers comme l’Allemagne ou la Suisse… A l’Euro, certains s’attendaient à des incidents avec les supporteurs turcs, or, l’ambiance a été festive. Je pense qu’il n’y aura aucun problème. »
À l'intention des supporters.... #BJKFR #OLvsBJK https://t.co/yj6WzOOMm5
— _BESIKTAS_FR (@Beşiktaş JK France)
Une autre source de tension est venue s’ajouter à ce contexte délicat. Le Parc OL est situé en banlieue lyonnaise, sur la commune de Décines, dont l’histoire est intimement liée à la communauté arménienne. On estime à un peu plus de 10 % de la population locale les Décinois originaires de ce pays du Caucase. En 1972, la ville a été la première en France a inaugurer un mémorial du génocide arménien.
Quelques jours avant le 24 avril, la traditionnelle journée de commémoration, une association culturelle, basée à Décines, AYF Nor Seround (Nouvelle génération arménienne), a lancé un appel particulier en vue de la rencontre : « La FRA Nor Seround grand Lyon-Soghomon Tehlirian appelle tous les Arméniens de la région Auvergne - Rhône-Alpes et leurs amis à se rendre au Parc OL avec un drapeau arménien, le jeudi 13 avril, pour le match de Coupe d’Europe Lyon-Besiktas. »
L’un de ses responsables, Ovanes Garibian, a répondu au Monde sur le sens de cet appel. « Le but est de rendre hommage aux victimes du génocide à onze jours du 102e anniversaire. Nous voulons sortir les drapeaux à un moment précis, la 24e minute de jeu par exemple. Ce n’est pour nous pas une provocation, car entretenir cette histoire est aussi un facteur de paix. Il y avait bien eu des hommages après le 13 novembre 2015 dans les stades », justifie-t-il.
Des Arméniens également attendus
Le Décinois, qui assure qu’aucun rassemblement n’aura lieu avant la rencontre, développe un autre argument en sa faveur : « Besiktas est un club avec lequel nous partageons une idée de la démocratie et des droits de l’homme. Ses supporteurs se sont, par exemple, illustrés dans la résistance à Erdogan. Puis, c’est le club proche du quartier arménien d’Istanbul, celui que ma famille en Turquie supporte… » Le leader du Carsi du Besiktas s’appelle, en effet, Alen Markaryan, un Turc d’origine arménienne.
Ces éléments ne suffisent pas à convaincre dans l’autre camp. La perception diffère totalement. Attila Bahar, qui sera présent jeudi soir, l’exprime sans détours : « Imaginons un match entre un club arménien et un club français, si l’on se ramène avec des drapeaux turcs, ça serait de la provocation. »
Fort de l’arrêté préfectoral et désireux d’éviter tout incident, le Parc OL fera la chasse aux drapeaux arméniens mais également aux éventuels maillots des clubs rivaux du Besiktas que sont Galatasaray ou Fenerbahçe. « On est au courant de cet appel et on va tout faire pour tout contrôler lors des palpations. Non pas parce que l’on prend parti, mais parce que c’est un match de football », explique Xavier Pierrot.
Quarante-huit heures après les événements de Dortmund, il serait appréciable que la rencontre entre Lyon et Besiktas ne soit sous le feu des projecteurs que par la qualité du football proposé.