Une jeune femme turque, à Istanbul le 12 avril, qui milite en faveur du non au réfédendum sur la réforme de la Constitution. | Emrah Gurel / AP

Stigmatisés par les dirigeants qui les associent à des « terroristes », absents des grands affichages publicitaires, bannis du petit écran, les partisans du non à l’élargissement des pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan font campagne avec des bouts de ficelle en vue du référendum du dimanche 16 avril.

Selim, la cinquantaine, n’a rien raté des réunions pour le non qui ont eu lieu, de façon quasi confidentielle, dans son quartier de Sisli, sur la rive européenne d’Istanbul. Mais il se sent lésé : « Il n’y en a que pour le oui. Rien qu’à la télé, leur temps de parole est infiniment supérieur au nôtre, c’est une injustice totale », dit cet électeur fidèle du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate, opposition), qui mène campagne en faveur du non.

Kemal Kilicdaroglu, le président général du CHP, était ainsi invité à 19 heures, le 7 avril, pour un direct sur la chaîne publique TRT. Il a dû patienter trente minutes dans les studios, le temps que s’achève le meeting de campagne du président Erdogan, retransmis en direct par presque toutes les chaînes nationales et régionales.

Dès l’ouverture de la campagne, le parti de la Justice et du développement (AKP, islamo-conservateur, au pouvoir) a promulgué un décret par lequel, état d’urgence oblige, les règles habituellement suivies en période d’élections par les médias, à savoir l’octroi d’un temps de parole égal pour tous les candidats, n’étaient plus en vigueur.

Déséquilibre flagrant

« Le décret-loi est venu après des plaintes émanant des chaînes de télévision progouvernementales, dominantes dans le paysage médiatique, disant ne pas vouloir se transformer en instruments de propagande en faveur du non », a écrit Murat Yetkin, l’éditorialiste du quotidien Hürriyet le 12 avril.

Dans les rues, le déséquilibre est encore plus flagrant. A Istanbul, pour voir le oui, il suffit de lever le nez vers les affiches géantes de M. Erdogan et de son premier ministre, Binali Yildirim, qui s’affichent à l’envi sur les murs – y compris ceux de la vieille muraille classée au Patrimoine mondial par l’Unesco – et au milieu des places. L’omniprésence du oui est telle « qu’un visiteur étranger venu en Turquie pour la première fois pourrait penser que le pays s’appelle oui », a écrit, avec ironie, Özgür Mumcu dans Cumhuriyet du 12 avril.

En revanche, pour entrevoir le non, il faut baisser la tête et regarder par terre, où des autocollants ont été mis sur les trottoirs. Pas de non sur les grands espaces publicitaires, seules quelques affiches modestes, représentant une fillette et un soleil crayonnés avec le slogan : « Voter non pour notre avenir ».

On ne compte plus les rassemblements pour le non qui ont tourné court. Le 22 mars, Meral Aksener, une dissidente du Parti d’action nationaliste (MHP), a dû interrompre un meeting dans la province de Nigde après l’attaque d’une foule en colère contre ses partisans.

Le 11 février, alors qu’elle entamait un discours à l’Hôtel Kolin de Canakkale, l’électricité a été coupée. Une décision prise par la direction de l’hôtel, qui s’est fait tirer les oreilles pour lui avoir loué la salle. Le meeting s’est poursuivi à la lueur des portables. Faire campagne en faveur du non s’est aussi révélé impossible pour le Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde), dont treize députés et des centaines de cadres sont en prison.