Les violents affrontements qui ont éclaté en marge de la rencontre entre Lyon et le Besiktas Istanbul lors du quart de finale aller de la Ligue Europa étaient attendus. Sébastien Louis, spécialiste du supportérisme radical en Europe et en Afrique du Nord, pointe la responsabilité des autorités françaises et du club lyonnais dans la gestion d’une situation qui s’annonçait explosive.

Les incidents qui se sont produits à Lyon étaient attendus, et ils ont bien eu lieu. Etait-ce une fatalité ?

Oui et non. Une heure après l’annonce du tirage au sort, les supporteurs radicaux se réjouissaient de cette confrontation à venir sur des forums spécialisés. On savait que les supporteurs turcs allaient venir en masse et qu’une frange de supporteurs lyonnais, extrémistes et nationalistes, les attendrait de pied ferme. Pour eux, c’est une compétition dans la compétition.

Des policiers face aux tribunes après des heurts entre supporters avant le début du match entre l’Olympique lyonnais et Besiktas, le 13 avril. | JEFF PACHOUD / AFP

Les risques sont connus depuis le 17 mars et le tirage au sort. Les responsables ont eu quatre semaines pour s’organiser. Des spécialistes de la DNLH [Division nationale de lutte contre le hooliganisme] sont payés pour prévenir ces situations à risque, mais rien n’a été fait. Ces affrontements rappellent d’ailleurs ceux qui ont eu lieu lors du match PSG-Galatasaray en 2001. Il y avait eu les mêmes incidents à l’extérieur du stade, les mêmes scènes de violence dans les tribunes. Nous avons donc été confrontés à une situation identique, à seize ans d’intervalle.

Le club semble avoir été pris de court par l’achat massif de billets par les supporteurs turcs…

Nous savons que la diaspora turque en Europe peut se mobiliser rapidement et efficacement, ce qui a été le cas. Il aurait été facile de limiter la billetterie en ligne. Cela aurait réduit le nombre de supporteurs turcs présents au stade. L’autre erreur a été de placer ces supporteurs au niveau du troisième anneau, qui surplombe les fans lyonnais. Même ceux qui sont venus par leurs propres moyens, en dehors du déplacement officiel encadré par le club stambouliote, sont facilement identifiables. Il aurait fallu être plus flexible pour les changer de tribune. Nous avons également vu des drapeaux arméniens dans le stade, ce qui a mis de l’huile sur le feu, surtout dans le contexte actuel, à trois jours du référendum sur le changement de Constitution en Turquie. Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette rencontre un cocktail explosif.

Il y a eu des jets de bombes agricoles, des fumigènes. Comment ont-ils pu être introduits dans l’enceinte ?

Les fouilles ne sont jamais efficaces à 100 %. Comment voulez-vous fouiller efficacement plus de 50 000 personnes ? Et les supporteurs radicaux sont spécialisés dans l’art de la dissimulation, c’est un jeu pour eux. L’une de leur méthode consiste aussi à forcer l’entrée dans le stade, et c’est ce qu’il s’est passé jeudi. Les stadiers ont été débordés et plusieurs supporteurs ont pu entrer dans l’enceinte sans être fouillés. On ne peut demander à des stewards d’effectuer ce travail. Les policiers ont en outre gazé à tout va, ce qui a ajouté à la confusion.

Des fumigènes ont été allumés pendant le match dans les tribunes du Parc Olympique lyonnais, le 13 avril. | JEFF PACHOUD / AFP

Il aurait fallu instaurer des barrages en amont, effectuer un préfiltrage. L’architecture du stade et son implantation – les arrêts du tramway et du métro étant assez éloignés de l’entrée – rendent la situation encore plus complexe à gérer. Il y avait une succession de cortèges autogérés, qui auraient dû être mieux canalisés en dehors de l’enceinte, avant le match. Dans le contexte actuel, avec le plan Vigipirate, il y avait suffisamment de moyens humains pour le faire.

Les autorités françaises ont-elles tiré des enseignements des violents affrontements qui avaient eu lieu à Marseille entre hooligans russes et anglais pendant l’Euro 2016 ?

Non, aucun enseignement n’a été tiré de ces violents affrontements. Et aucune sanction n’a été prise, alors qu’il y avait eu des défaillances claires. Les autorités françaises continuent de mener une politique axée sur le tout-répressif, mais qui ne fonctionne pas. Il y a toujours la même confusion entre ultras et hooligans. Les interdictions de déplacement se multiplient, mais les ultras en France n’ont rien à voir avec ces supporteurs radicaux, notamment ceux en provenance de Russie et de Turquie. La police française n’a pas l’expérience de la gestion de ce type d’individus et se retrouve rapidement débordée.

En Suisse ou en Allemagne par exemple, les policiers adoptent des ripostes graduées. Leur stratégie première est de faire baisser les tensions. Etre accueillant mais ferme. La bunkérisation des stades n’est pas une solution. Prévoir des endroits festifs, sur le modèle des fan-zones, pour accueillir les supporteurs adverses, peut être une solution. Ça ne résoudra pas tout, mais les supporteurs radicaux se nourrissent de la tension.