Au moins 211 villages situés dans le lit du lac Tchad et sur les berges de la Komadougou-Yobé, frontière naturelle entre le Niger et le Nigeria, ont été abandonnés par leurs habitants. Fuyant la secte extrémiste nigériane Boko Haram, ces Nigériens se sont réfugiés le long de la route nationale numéro un (RN 1).

De Boudouri, à environ 15 km de Diffa, la capitale régionale de l’est du Niger, à Toumour, à près de 1 500 km de Niamey, dans le lit du lac Tchad, le reporter du Monde Afrique Seidik Abba, natif de la région, a recueilli des témoignages bouleversants d’hommes et de femmes chassés de leurs terres et de leur vie par Boko Haram.

SITE DE BOUDOURI

Magaram Elhadji Kiari, 35 ans : « Notre voisin a été tué par Boko Haram »

Magaram Elhadji Kiari, 35 ans, en mars 2017, réfugiée à Boudouri, au Niger. | Ousseïni Sanda

« Une nuit, on a dû partir en catastrophe, abandonnant tout derrière nous. Lassés par les incursions régulières des éléments de Boko Haram, nous n’avons eu d’autre choix que de nous enfuir pour sauver nos vies. Notre voisin, lui, a tué par la secte. On s’est dit que la prochaine fois, ce sera notre tour. »

Fanta Madou, 50 ans : « Nous manquons de tout »

Fanta Madou, 50 ans, en mars 2017, réfugié à Boudari, au Niger. | Ousseïni Sanda

« Le gouvernement nigérien nous a convaincus de déguerpir de notre village, en assurant que nous serions aidés sur notre site de réinstallation. Malheureusement, ces promesses n’ont pas été tenues. Ici, l’Organisation internationale des migrations (OIM) nous a fourni des tentes et l’ONG Oxfam assure le panier alimentaire [100 kg de riz, 25 kg de niébé, 10 litres d’huile, 1 kg de sel] à plus d’un millier de ménages. Mais, nous manquons encore de tout : eau potable, assainissement, école, commerces. »

Fandaou Kossoram, 25 ans : « On survit grâce à la charité internationale »

Fandaou Kossoram, 25 ans, en mars 2017, réfugiée à Boudouri, au Niger. | Ousseïni Sanda

« Notre foyer récoltait cinquante sacs de poivron par semaine. Puis Boko Haram est arrivé et nous a obligés à fuir d’abord dans la brousse, puis jusqu’ici, à Boudouri. Pour nous qui avons toujours vécu par nos moyens propres, c’est pénible de devoir désormais compter sur la charité internationale. »

Mallam Awa, 38 ans : « La guerre est arrivée chez nous »

De gauche à droite : Mallam Awa, 38 ans, Ari Amadou, 50 ans, et Dallah Mallam, 60 ans. Tous trois réfugiés auà Boudouri, au Niger. | Ousseïni Sanda

« Boko Haram a d’abord occupé la ville de Damasak, au Nigeria, à environ 5 km de Zarwaram, notre village. On avait alors des échos de ce qu’ils faisaient là-bas. Ensuite, la secte a mis sous pression notre village avec des incursions régulières. La guerre est arrivée chez nous. Finalement, à la demande des autorités, nous avons dû partir en abandonnant tout. Même notre récolte n’a pu être sauvée malgré notre insistance auprès des autorités nigériennes. »

Ari Amadou, 50 ans : « Je n’ose pas croiser le regard de mes enfants »

« Comme vous pouvez le constater, nous passons tout notre temps ici sous les arbres ou sous le hangar. Pas seulement parce qu’il fait très chaud sous les tentes. Mais parce que nous ne pouvons pas croiser le regard de nos enfants en rentrant à la maison les mains vides. Il n’y a pas pire déchéance parentale. On n’attend que le feu vert du gouvernement pour retourner chez nous sur les berges de la Komadougou pour cultiver à nouveau nos champs sur lesquels on pouvait faire cinq récoltes par saison. La reconquête de notre dignité est plus forte que la peur de Boko Haram. »

Dallah Mallam, 60 ans : « C’est tout un monde qui s’effondre pour moi »

« Entre l’oignon, le riz, le maïs et le poivron, je récoltais cent vingt sacs par saison. C’était largement assez pour subvenir aux besoins alimentaires de la famille. Une partie de la récolte était revendue pour permettre d’acheter des habits et des chaussures à mon épouse et à mes enfants. Un beau jour, j’ai dû tout abandonner pour venir ici vivre sous une tente de 18 m2 avec les miens. En être réduit à accepter de l’aide, c’est tout un monde qui s’effondre pour moi. »

VILLAGE DE TOUMOUR

Mallam Boulama, 50 ans : « J’ai été otage de Boko Haram »

Mallam Boulama, 50 ans, en mars 2017, réfugié au village de Toumour, au Niger. | Ousseïni Sanda

« J’avais une grosse motopompe qui me servait à produire du riz, du poivron, du maïs. J’ai dû tout abandonner pour me réfugier ici depuis deux ans et demi. Les gens de Boko Haram m’ont arrêté, frappé et retenu en otage pendant toute une journée. Ils m’ont ensuite demandé de choisir entre mes biens et ma vie. Ils m’ont dit que ma richesse était illicite. J’ai réussi à m’enfuir tout seul. Ma famille est venue ensuite me rejoindre. Rester à ne rien faire ici me dérange autant que la peur de Boko Haram. »

Harouna Mani, 50 ans : « Les réfugiés sont nos hôtes »

Harouna Mani, réfugié dans le village de Toumour, au Niger. | Ousseïni Sanda

« Comme ailleurs en Afrique, chez nous à Toumour, le devoir de solidarité envers le voisin passe avant toute autre considération. C’est pour cela que nous partageons le peu de ressources que nous avons avec les déplacés et les réfugiés. Ils sont nos hôtes. Vous constaterez vous-même qu’il y a très peu de tentes dans le village parce que les réfugiés sont accueillis dans les familles. Ils ont pour la plupart des liens de sang, de mariage ou d’affaires avec leurs hôtes. Notre vœu le plus cher, c’est que la paix revienne et que chacun rentre chez lui reconstruire sa richesse d’antan. »

Boulama Kilwou, 75 ans : « Dans mon village de mille habitants, il ne reste plus personne »

Boulama Kilwou, 75 ans, en mars 2017, réfugié au village de Toumour, au Niger. | Ousseïni Sanda

« Ce n’est pas tant la situation au Niger qui nous inquiète que la poursuite des exactions de Boko Haram au Nigeria voisin. Dans mon village de mille habitants attaqué à trois reprises par la secte, il ne reste plus personne. Nous avons tous fui en abandonnant derrière nous tous nos biens. J’avais une grosse motopompe qui servait à faire du riz, du mil, du maïs sur les berges de la Komadougou. Vous imaginez notre douleur de devoir abandonner la production de richesses pour ne compter que sur l’aide. »

Fanta Yaou, 40 ans : « Je suis sans nouvelle de mon mari enlevé il y a plus de deux ans »

Fanta Yaou, 40 ans, en mars 2017, réfugiée au village de Toumour au Niger. | Ousseïni Sanda

« Les éléments de Boko Haram sont arrivés plusieurs fois dans mon village de Talata N’Gam, au Nigeria. Ils m’ont tenu en joue avec leurs fusils. Les habitants qui tentaient de fuir tombaient sous mes yeux. Un jour, ils sont arrivés et sont repartis avec mon mari qui revenait des champs. Depuis plus de deux ans, je suis sans nouvelle de lui. Est-il mort ? Est-il toujours vivant ? J’ai besoin d’une réponse pour me reconstruire et faire mon travail de deuil. En attendant, j’élève seule mes cinq enfants âgés de 2 ans à 5 ans en vendant des beignets. »

Wali Madou, 20 ans : « Mon histoire d’amour a tourné au cauchemar »

Wali Madou, 20 ans, retournée vivre chez ses parents à Toumour, au Niger, avec son mari et leurs deux enfants pour fuir Boko Haram. | Ousseïni Sanda

« J’ai suivi mon époux pour m’installer de l’autre côté de la frontière, au Nigeria. Nous vivions tranquillement avec nos deux enfants jusqu’à ce que Boko Haram attaque notre village. Nous avons alors dû fuir pour nous réfugier ici à Toumour chez mes parents. C’est pénible pour mon mari de devoir vivre aux crochets de ses beaux-parents. Mon histoire d’amour a tourné au cauchemar. »

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