Olivier Faye, journaliste au Monde chargé du suivi du Front national a répondu aux questions des internautes à propos de la stratégie de fin de campagne de la candidate FN.

Adbuv : Ne pensez-vous pas que ce retour au sécuritaire est une stratégie actant la fin de la « dédiabolisation » du FN et servant uniquement à galvaniser les peurs ? Cela peut être risqué à moins d’une semaine de l’élection…

Olivier Faye : Ce n’est pas le constat dressé par les équipes de Marine Le Pen, qui mettent en avant le fait que l’immigration – principal sujet du discours de la présidente du FN lundi 17 avril au Zénith de Paris – suscite un rejet fort dans la société française. En mettant l’accent sur cette question, Marine Le Pen cherche à mobiliser sa base électorale, qui pourrait être tentée par l’abstention ou par un autre vote, en lui rappelant que la manière la plus efficace de s’opposer à l’immigration est de se prononcer pour elle. Cette stratégie, qui risque de l’enfermer dans la posture d’une candidate monothématique, peut par contre s’avérer compliquée en vue du second tour, où il faut élargir son électorat.

Hapo : Est-il juste de dire que Marine Le Pen n’a pas beaucoup utilisé les attentats en Europe, ou en a indirectement fait un pilier de sa campagne mais sans s’y référer explicitement ?

Depuis plusieurs semaines, Marine Le Pen égrène dans beaucoup de ses discours – c’était encore le cas lundi – la litanie des attentats qui ont frappé l’Europe ces dernières semaines. Donc la question sécuritaire est bien un des piliers de sa campagne. Après, son propos n’a pas forcément toujours « imprimé » dans une actualité qui a beaucoup été dominée par les affaires, et où chaque candidat a semblé faire campagne dans son couloir. Les prises de position de Marine Le Pen ont suscité assez peu de réactions dans cette élection présidentielle.

Rémi : Quel a été l’impact des accusations d’emploi fictif au Parlement européen sur les électeurs ? Défiance envers le parti ? Envers l’Union européenne ?

Il a beaucoup été dit que ces affaires n’avaient pas d’incidence sur sa campagne, contrairement à celles concernant François Fillon. Mais force est de constater que la candidate du FN a perdu près de quatre points dans les sondages depuis février. Il est difficile de dire quelles sont les raisons de cette baisse – Marine Le Pen l’attribue à l’arrivée des « petits » candidats dans la course – mais cela a pu jouer un rôle.

Plus que le fond des affaires, son attitude (refus de se rendre aux convocations de la police et des juges) et les attaques de certains adversaires (Philippe Poutou qui met en avant le fait qu’il n’y a pas d’« immunité ouvrière », en opposition à l’immunité parlementaire derrière laquelle elle se protège), ont sans doute eu un effet.

Polo l’asticot : Stagnant dans les sondages depuis de longs mois, Marine Le Pen peut-elle vraiment conquérir de nouveaux électeurs ? Les abstentionnistes pourraient-ils être des électeurs du FN en puissance ?

Marine Le Pen navigue depuis les élections européennes de 2014 à un niveau très élevé dans les urnes, entre 24 % et 27 % des voix aux différentes élections intermédiaires. Progresser encore dès le premier tour est donc de plus en plus compliqué.

Pour gagner des points, le FN mise en effet sur les abstentionnistes (Marine Le Pen a d’ailleurs commandé une étude qualitative pour sonder leurs attentes). Elle espère surtout que son électorat, qui puise en grande partie dans les catégories populaires, les plus promptes à s’abstenir, sera mobilisé le 23 avril.

AlexGou : Selon vous, quelle est la probabilité, et quels seraient les impacts sur le FN d’un « effondrement » de Marine Le Pen, et de sa non-présence au second tour ?

L’hypothèse était encore exclue il y a quelques semaines, elle ne l’est plus, et c’est en soi une surprise tant Marine Le Pen a dominé les intentions de vote ces dernières années. Si l’on se réfère aux résultats obtenus par le FN lors des élections intermédiaires, cette hypothèse n’est pas la plus probable.

Mais si Marine Le Pen devait ne pas se qualifier pour le second tour, il est certain que cela ouvrirait une crise au sein du FN, où certains demanderaient des comptes sur la stratégie mise en place par la présidente et son bras droit Florian Philippot depuis la dernière présidentielle. Un congrès doit normalement se tenir en fin d’année, ce serait l’occasion d’une grande explication de texte.

Deb76 : N’est-il pas étonnant que le Zénith qui accueillait le meeting de Marine Le Pen n’était pas entièrement plein ? N’est-ce pas inquiétant pour Marine Le Pen ?

La salle était quasiment pleine au moment du discours de Marine Le Pen, seuls quelques sièges dans les travées hautes restaient vides. De manière plus générale, la candidate du FN a moins mobilisé dans ses réunions publiques qu’Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon ou François Fillon. Mais cet indicateur n’est pas forcément le plus fiable pour juger de la dynamique de fond qui porte un candidat. Nicolas Sarkozy affichait complet dans ses meetings pendant la campagne de la primaire de la droite, et il n’a fini que troisième de l’élection.

Léo : Quel est l’objectif principal de Marine Le Pen et du Front national ? Est-elle capable de réellement gagner la présidentielle ?

Officiellement, l’objectif est de gagner. En réalité, chacun sait au Front national que la victoire sera très difficile à obtenir. Se qualifier pour le second tour est vu comme un minimum. Certains fixent la barre des 35 % comme un seuil au-dessous duquel le résultat serait considéré comme un échec. Surtout, le FN espère obtenir un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale (au moins 15 députés), sans quoi la séquence électorale serait définitivement ratée.

Papy95 : Le retour aux « fondamentaux » ne prouve-t-il pas que Marine Le Pen est vraiment peu à l’aise sur les questions économiques et à contre-courant de la majorité des électeurs sur ce point ?

Marine Le Pen a conscience que la question de la sortie de l’euro hérisse les électeurs, qui sont majoritairement opposés à cette proposition. Elle considère d’ailleurs que cela lui a fait perdre deux ou trois points en 2012. Dans cette campagne, l’idée était de rassurer en présentant cette mesure comme un retour à la « souveraineté monétaire », noyé dans une série de négociations avec l’Union européenne.

Effectivement, les thèmes d’identité et d’immigration ont plus dominé dans sa campagne, mais c’est aussi l’actualité qui veut ça : en 2012 l’économie occupait les débats. Et Marine Le Pen n’a pas caché qu’elle voulait revenir au franc.