Sur le pas de la porte, il salue des locataires, des travailleurs sociaux. Deux mois que Merhawi est logé dans le centre de transit de Villeurbanne et il connaît déjà tout le monde. Sem et Rafaël, ses deux fils, sont populaires. Les mères qui ont laissé leurs enfants au pays craquent pour les deux petits, pétillants et si minuscules du haut de leurs frêles 4 et 5 ans. Tous deux ne passent pas inaperçus. Leur énergie enfantine capte les gestes de sympathie… bisou sur la joue ou petite tape virile sur leurs petites mains menues.

Merhawi, Sem et Rafaël s’engouffrent tous trois dans le hall. Il est midi, l’heure d’un déjeuner rapide avant de repartir pour l’école. Dans l’ascenseur, le papa appuie sur le bouton du quatrième, puis tout le monde sort avant la descente d’un étage à pied. « L’ascenseur ne s’arrête pas au troisième », commente Merhawi, fataliste.

Simplifier le quotidien des migrants

D’abord, il ouvre une des deux chambres contiguës de 7 m2 dans lesquelles il réside avec ses deux petits. Dans le couloir où Merhawi est installé s’alignent douze autres chambres identiques, une cuisine et deux blocs sanitaires. Pour le jeune papa érythréen, la vie n’est pas simple. « A Tel-Aviv, j’habitais dans un appartement de 60 m2. Ici, j’en ai 14… c’est dur », confie-t-il, pressé de signer le bail de son futur appartement. « Cela va se faire très vite », le rassure régulièrement Caroline Rabatez, la travailleuse sociale qui suit Merhawi et l’aide à pénétrer les arcanes de la société française. « Il faut que le bailleur fasse des travaux de plomberie et, ensuite, ce sera prêt, sourit-elle doucement. Je fais activer comme je peux. »

Le centre de transit de Villeurbanne fait partie des inventions de l’association Forum Réfugiés qui simplifient le quotidien de nombre de migrants. « C’est une structure qui permet aux plus vulnérables d’éviter la rue », résume Anne-Lise Devaux, la chargée de communication. Jean-François Ploquin, directeur de l’association, tient particulièrement à ce modèle : « Il en existe seulement deux en France. Le nôtre et celui de Créteil (Val-de-Marne), géré par France Terre d’asile. A mes yeux, on aurait mieux fait de généraliser ce type de structure que de créer des Centres d’accueil et d’orientation [CAO] dans des lieux beaucoup moins pérennes. » Le centre de transit de Villeurbanne existe depuis 1997, celui de Lyon lui a été adjoint en 2003, en complément.

Des résidents dans la salle commune du centre de transit de Villeurbanne où vivent Merhawi et ses deux fils. | Sandra Mehl pour Le Monde

Pour évacuer la jungle de Calais, des CAO ont fleuri un peu partout en France dans des centres de vacances et quelques lieux désaffectés. « Demain, ils vont devoir fermer, alors que la situation que nous vivons aujourd’hui nécessiterait des structures plus pérennes dans toutes les métropoles régionales », observe M. Ploquin, qui, pour travailler sur les migrations depuis des années, sait que la situation ne va pas s’arranger demain matin.

Un statut de réfugiés

A Lyon, son association offre donc 220 places d’hébergement réparties sur deux sites, dont 166 à Villeurbanne. « Ce lieu héberge les primo-arrivants avant qu’ils ne trouvent place dans le Dispositif national d’asile, le DNA », ajoute le directeur. Une structure tampon, qu’on pourrait comparer à ce que la mairie de Paris vient d’ouvrir à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) pour les familles.

Ce matin de mars, une femme albanaise enceinte arrive là dans le hall accompagné d’un homme qui semble la protéger. Pour l’hôtesse d’accueil du centre de transit, celui-ci traduit la situation dramatique de la jeune demandeuse d’asile sans ressource ni domicile avec un enfant en bas âge. Dans la journée, elle obtient un lit et si son cas fait ensuite d’elle une « passagère classique » du lieu, elle restera quelque deux mois et demi, avant d’intégrer un espace dédié à ceux qui ont déjà déposé leur demande d’asile. Sans cette structure, elle n’aurait pas forcément eu un lit avant d’avoir officiellement postulé pour un statut de réfugié.

Comme Merhawi, les autres « réinstallés », ceux à qui le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a déjà octroyé un statut de réfugiés, passent aussi par là avant d’intégrer un logement autonome. La transition, qui semble superflue pour le jeune papa érythréen qui a déjà passé des années dans la capitale israélienne, ne l’est pas pour tous. Patrick Jaen, qui gère le lieu à Villeurbanne, observe combien ce sas peut être nécessaire en termes d’intégration pour certaines familles qui passent d’un coup du monde rural à la vie urbaine. « Nous avons l’exemple d’une maman africaine qui arrive juste d’un camp et, avant, d’un village. Cette femme a besoin de ce lieu pour comprendre en douceur les normes d’éducation des enfants en France. Au début, elle laissait ses plus jeunes seuls dans la rue, comme elle était habituée à le faire en Afrique », commente le directeur de la structure. Le lieu permet aussi une prise en charge médicale si besoin.

Sachant que son séjour là durerait quelques semaines, Merhawi a aménagé ses deux chambres. Dans l’une, il a rapproché les deux petits lits où il dort avec ses deux garçonnets. Dans l’autre, il a enlevé le troisième lit et constitué un petit espace de vie commune. « C’est transitoire, je le sais bien. Mais cela me pèse beaucoup de ne pas pouvoir m’installer plus rapidement », observe-t-il encore, comme si sa vie était en suspens.

Reprendre la migration après dix ans de pause, changer de pays et de culture est déjà difficile. Y ajouter la précarité du logement lui pèse beaucoup.

Sem, 4 ans, et Rafaël, 5 ans prennent leur goûter après l'école dans l’une des deux pièces de 7m2 du centre de transit de Villeurbanne où ils vivent avec leur père, Merhawi. | Sandra Mehl pour Le Monde