Après vingt-deux ans dans la police marseillaise, Cédric est « à bout »
Après vingt-deux ans dans la police marseillaise, Cédric est « à bout »
Par Elvire Camus (envoyée spéciale à Marseille)
Ce fonctionnaire de 49 ans a fait le calcul : il lui reste six années à tenir avant la retraite. A moins que l’élection présidentielle ne perturbe ses plans.
Une paire de claquettes complète sa tenue décontractée : t-shirt blanc et pantalon de survêtement impeccables. Cédric (le prénom a été changé) va pouvoir souffler aujourd’hui, c’est son jour de repos. Et comme à chaque fois, il l’attend avec impatience. « Je commence à être à bout », dit le policier marseillais. Assis bien droit sur sa chaise, dans le salon de son appartement immaculé, il évoque un boulot devenu « intenable », « la politique du chiffre », les trop nombreux « contrôles » de sa hiérarchie.
« On est soumis à une pression de dingue, chaque jour on nous en rajoute. Dès qu’un incident se produit quelque part, on nous dit qu’il faut en faire plus, être meilleurs, mais je fais déjà des vacations de douze heures, je peux pas en faire plus ! »
Ce passionné de sport est entré « tard » dans la fonction publique d’Etat, à 27 ans, après avoir enchaîné les jobs (chaudronnier, installateur d’alarme, dessinateur dans un bureau d’études…). « Je ne m’en sortais pas financièrement et je n’arrivais pas à me projeter dans l’avenir », dit-il. A l’époque, son frère aîné était policier, un métier qu’il percevait comme étant « difficile » mais respecté. « Et puis, j’étais jeune, je n’avais pas peur du danger. » C’était avant « la désillusion, comme on dit ». Cédric ne veut pas commenter l’actualité — le viol présumé de Théo L. à Aulnay-sous-Bois et les manifestations contre les violences policières —, mais constate, amer : « Après les attentats, les policiers étaient les rois du pétrole. Maintenant on nous crache dessus. »
« J’ai encore six ans à tenir »
Il y a quelques années déjà, Cédric s’est mis en retrait du terrain. Depuis qu’il est père de famille, son objectif est de « rentrer à la maison tous les soirs ». Fini les patrouilles dans les quartiers nord, où les « gamins sont armés jusqu’aux dents », les interventions en urgence avec police secours. De ces années-là, il garde tout de même un bon souvenir, et un paquet d’images traumatisantes. Comme celle de ces « morceaux de viande » retrouvés dans une Twingo « enroulée » autour d’un poteau un 31 décembre. « Il a fallu annoncer aux familles de ces trois jeunes gens… Et, au passage, on n’a eu aucune prise en charge psychologique. »
Le poste opérationnel qu’il occupe désormais le préserve de la délinquance, mais pas de la pression, des acouphènes qu’il a développés et de ses maux de dos. Alors Cédric n’attend qu’une seule chose : sa retraite. Il a fait le calcul : « J’ai encore six ans à tenir. » Après, il pourra partir en retraite anticipée. Et commencer une nouvelle vie, avec au centre, le « bien-être » de sa famille. Lui et sa femme prévoient de quitter Marseille pour que leur fille de 8 ans grandisse dans un environnement « plus tranquille ».
L’insécurité et la retraite comme préoccupations
Bien sûr, ils sont confortablement installés dans leur résidence sécurisée flambant neuve, perchée sur une colline du sud-est de Marseille. Mais la double porte, les deux codes d’accès et le lourd portail coulissant n’ont pas suffi à éloigner les visiteurs mal intentionnés : trois appartements ont été cambriolés en trois mois. Cédric hausse les épaules, « le portail, on l’escalade comme on veut ». L’insécurité est une des choses qui le préoccupent le plus, à égalité avec sa retraite, donc. Depuis les attentats, il évite les grands centres commerciaux, les rassemblements trop fréquentés et sa fille ne participe pas aux sorties scolaires.
Pour la destination de leur nouvelle vie, le couple hésite encore : La Réunion, d’où est originaire le père de sa femme, ou la Polynésie ? A moins que la présidentielle ne vienne chambouler leurs projets. « C’est simple, si Fillon est élu, il me met trois ans dans la tête », se désespère Cédric, qui n’a jamais autant décortiqué les propositions des candidats à la présidentielle sur les retraites. « Vous pouvez toujours essayer de me coller ! », lance-t-il pas peu fier.
Depuis la primaire de la droite, il suit la campagne avec assiduité « sur BFM, LCI, CNews, etc. ». Les favoris, Alain Juppé et François Fillon, proposaient tous les deux de reculer l’âge de départ à la retraite. Pas question alors de voter pour eux. Depuis, Emmanuel Macron a dévoilé sa proposition de retraite à points, qui reviendrait à supprimer les régimes spéciaux. Le candidat qui « fait comme si toutes les professions étaient les mêmes » n’aura pas non plus son soutien. Que cherchent « ces messieurs » au juste ?, s’énerve Cédric. « Ils pensent que la situation s’est améliorée en France pour ceux qui sont en première ligne ? Que le travail des policiers est moins pénible ? Regardez autour de vous ! »
« Il ne faut pas que les politiques nous méprisent », met-il en garde, évoquant les grandes grèves de 1995 contre les réformes des retraites du gouvernement Juppé. Cédric ouvre des yeux ronds et mime un X avec ses bras : « S’ils touchent aux régimes spéciaux, ils vont mettre le pays en croix ! »
Pour la présidentielle, son choix n’est pas encore arrêté. Ce dont il est sûr, c’est qu’il « faut essayer autre chose ». C’est-à-dire ni la droite, ni la gauche, ni « mezzo mezzo », le surnom qu’il a donné à Emmanuel Macron. Reste alors Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, comme en 2012. Les deux candidats proposent de revenir à la retraite à 60 ans. Mais ce que Cédric attend surtout du prochain président, c’est « un peu de souplesse » : « Si les gens sont à la limite du burn-out, du suicide, de la bavure, il faut les laisser partir. »
Nous avons rencontré Cédric après avoir lu le message qu’il a laissé lors de notre appel à témoignages : « Et vous, qu’est-ce qui vous préoccupe ? » N’hésitez pas à faire comme lui, et témoignez ! Retrouvez également nos grands formats à l’écoute des Français.
Le projet #FrançaisesFrançais
Qu’est-ce qui vous préoccupe ? C’est la question que des reporters du Monde posent, depuis septembre, un peu partout en France, en cette année d’élection présidentielle.
Ils en ramènent des histoires, des regards, des voix, celles de Françaises et de Français ordinaires, ou presque. Cela s’appelle donc #FrançaisesFrançais, c’est à lire dans notre rubrique et à partager sur les réseaux sociaux…
Et si vous voulez nous dire ce qui, vous, vous préoccupe dans votre quotidien, n’hésitez pas à répondre à notre appel à témoignages.