TV: « Les Vacances de M.Hulot », l’art malicieux du décalage
TV: « Les Vacances de M.Hulot », l’art malicieux du décalage
Par Jean-Luc Douin
Notre choix du soir. Les réjouissantes tribulations d’un saboteur de vacances nommé Jacques Tati (sur France 5 à 20 h 50).
Les vacances de Monsieur Hulot (1953) - Bande-annonce
Durée : 01:31
Après Jour de fête (1949), Jacques Tati décide de raconter une semaine de vacances dans un hôtel-pension bien français, au bord de la mer, perturbé par un saboteur nommé Hulot. Ainsi sera le titre suédois du film : Semestersabotören, « le saboteur de vacances ». Ayant l’habitude d’emmener chaque été sa famille à La Baule, Tati connaît bien la petite station balnéaire de Saint-Marc-sur-Mer (Loire-Atlantique). C’est là qu’il tourne Les Vacances de M. Hulot, logeant son équipe à l’Hôtel de la Plage, en pleine saison estivale.
De Jour de fête à Trafic, on verra des lieux vides qui se remplissent avant de subir un exode : la place du village, la plage, le marché, la boîte de nuit, la ville. Vases communicants, du trop-plein à la vacance. Hulot cherche à être « en vacance » tout au long de l’année, tient à rester anticonformiste ou à changer de peau, de personnage, par exemple en se déguisant en pirate. Les autres passent leurs vacances sans changer de comportement. Prisonniers de leur passé (le général retraçant ses exploits), de leur présent (l’homme d’affaires est pendu au téléphone), de leur image (l’intellectuel pérore).
La Cinémathèque française
Parisien décalé, arrivé dans sa voiture pétaradante, éternel célibataire et irrémédiablement distrait, Hulot va cumuler les bourdes. Le personnage commet une bévue chaque fois qu’il tente de se ranger dans la norme. Hulot laisse des traces. Revenu de la plage trempé, il se réfugie derrière le portemanteau du hall de l’hôtel, mais ses chaussures ont laissé des empreintes sur le parquet qui mènent... au portemanteau. Repéré quoi qu’il fasse. Bâti sur une dialectique subversive de l’ordre et du désordre, de l’équilibre et du déséquilibre, le comique de Jacques Tati (toujours allusif, retenu, évitant de basculer dans le délire et le chaos) vient d’un discret décalage. Loin d’être un anarchiste, Hulot cherche à bien faire, mais il n’a pas l’esprit soumis.
C’est ainsi que, tête en l’air, il saccage le flirt qu’il avait entamé avec la jolie Martine. La jeune blondinette n’est pourtant pas insensible au va-et-vient accéléré qu’il imprime à sa raquette de tennis, au moment de servir, en la tenant à l’horizontale devant son entrejambe. Les films de Jacques Tati plaident pour un comique de regard, un regard de cinéma, initié par l’art d’observer ou de se méprendre. Le gag surgit de ce que certains voient, ce que certains imaginent, ce que certains croient voir. Ainsi, subjugué par Martine qui, nue sous sa serviette, entre se changer dans sa cabine de bain, Hulot croit-il voir un gros bonhomme se pencher pour regarder la donzelle par le losange de la porte en bois. Furieux, il lui botte le train, avant de se rendre compte, penaud, de sa méprise. Une erreur de perspective lui masquait la réalité de la scène : le prétendu voyeur était un touriste réglant son appareil pour photographier sa famille posant derrière les cabines.
Plonk, bi-bip, zzzz, meuh
Jacques Tati invite le spectateur à échapper à la soumission du gag souligné, où ce qui serait donné comme drôle serait forcément cadré au centre de l’image. Il l’incite à déceler le déréglage. Tati ignore les plans rapprochés, compose des plans généraux qui forcent l’œil à regarder dans les coins. Il incite à scruter l’écran comme un jeu des sept erreurs.
Le cinéma de Tati s’observe et s’écoute, à l’affût d’un détail qui reste invisible, hors champ : gros barouf de pots d’échappement pour un véhicule minuscule ou symphonie d’exclamations, onomatopées, bruits banals ou insolites : une petite mélodie de tic-tac, ploc, plonk, bi-bip, zzzz, meuh... Une véritable partition.
Les Vacances de M.Hulot, de Jacques Tati. Avec Jacques Tati, Nathalie Pascaud, Raymond Carl (Fr., 1953, 90 min).