Entre Le Pen et Macron, du flou et peu de divergences sur le numérique
Entre Le Pen et Macron, du flou et peu de divergences sur le numérique
Par Damien Leloup, Morgane Tual, Martin Untersinger
Les enjeux politiques et sociétaux liés aux nouvelles technologies tardent à se frayer un chemin dans les programmes des candidats à la présidentielle.
Ces dernières années, les nouvelles technologies numériques ont pris une place importante dans la vie quotidienne, induisant de nouveaux enjeux politiques et sociétaux. | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Comment les géants du numérique et les grandes plates-formes influencent-ils notre démocratie ? Quel avenir pour le travail dans un monde en voie de robotisation ? Comment protéger le pays contre les cyberattaques ? Comment contrôler la collecte croissante de données personnelles et la montée de la société de surveillance ? Comment s’assurer que l’intelligence artificielle œuvrera pour le bien commun ? Ces dernières années, les enjeux politiques et sociétaux liés aux nouvelles technologies se sont multipliés, mais tardent à se frayer un chemin dans les programmes des candidats à la présidentielle. Ceux d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, qualifiés pour le second tour, ne font pas exception.
Hadopi et les droits d’auteur
Sur la question de la culture à l’heure numérique, les divergences sont nettes. La candidate d’extrême droite entend « supprimer Hadopi », la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, qui met notamment en œuvre la « riposte graduée » à l’encontre des internautes téléchargeant illégalement des contenus protégés par le droit d’auteur. En contrepartie, Marine Le Pen souhaite « ouvrir le chantier de la licence globale ».
Emmanuel Macron, de son côté, a adopté une position plus classiquement en phase avec les ayants droit. Il estime ainsi que les « grandes plates-formes numériques » ont profité de l’évolution du partage sur Internet, « fragilis [ant] la création ». Il propose donc d’harmoniser le cadre fiscal s’appliquant aux entreprises du numérique, que les ayants droit accusent de profiter de la circulation des contenus culturels sans participer à leur financement. Il avance aussi des propositions très floues, comme celle de « défendre les droits d’auteur », « d’aider les artistes par la négociation encadrée d’accords sur leur rémunération » et de « renforcer l’action contre les sites pirates ».
Autre ligne de fracture, celle du sort réservé au lanceur d’alerte Edward Snowden et à l’éditeur du site WikiLeaks, Julian Assange. Le premier a obtenu un permis de séjour en Russie après l’annulation de son passeport par les Etats-Unis, où il est accusé d’espionnage ; le second vit dans l’ambassade équatorienne de Londres sous la menace d’un mandat d’arrêt émis en Suède, alors que les autorités américaines réfléchissent à le poursuivre en justice.
La question des lanceurs d’alertes
Marine Le Pen propose d’accorder l’asile à Edward Snowden dès le mois de juin 2013, lorsqu’il révèle son identité. En juin 2016, elle formule la même proposition à l’égard de Julian Assange, dans un billet de blog depuis supprimé. Si Emmanuel Macron ne s’est pas exprimé sur le cas d’Edward Snowden, il a accusé le fondateur de WikiLeaks de tenter d’influencer la campagne présidentielle française au nom de la Russie.
Dernier point différenciant, la modernisation de l’Etat, pour lequel Emmanuel Macron formule de nombreuses propositions, à l’inverse de la candidate frontiste. Il entend ainsi créer un portail en ligne pour la justice, faire passer « 100 % des démarches administratives en ligne », créer un « compte citoyen en ligne », centralisant de nombreuses prestations publiques, et accentuer la politique de libération des données publiques.
Données personnelles et protection de la vie privée
Les deux candidats, sur d’autres sujets, avancent des propositions floues. C’est le cas de la question des données personnelles et de la protection de la vie privée. Marine Le Pen indique ainsi vouloir « créer une charte à valeur constitutionnelle de protection des données personnelles », sans préciser comment ce document s’intégrerait dans l’architecture légale française – la protection de la vie privée figurant déjà dans la Constitution – ni ce qu’il apporterait comme droit supplémentaire.
Emmanuel Macron propose, lui, de « développer les instruments d’une transparence sur l’usage des données privées par les acteurs du numérique », sans pour autant définir ces instruments. Seuls engagements concrets, pour Emmanuel Macron : la renégociation du Privacy Shield, l’accord établissant un cadre légal pour les entreprises souhaitant transférer des données d’Européens vers les Etats-Unis, et la création d’une « Agence européenne pour la confiance numérique, chargée de réguler les grandes plates-formes numériques ». Pour Marine Le Pen, l’obligation pour les entreprises de stocker en France les données personnelles des Français.
Sur la question de la cybersécurité, les propositions rivalisent également d’inconsistance. Emmanuel Macron veut en faire « une priorité de notre sécurité nationale », notamment en « identifiant mieux nos failles », en « bâtissant des murailles » ou en « patrouillant dans le cyberespace ». Marine Le Pen elle, indiquait en mars dans le magazine Sciences et Avenir vouloir mettre en place « un programme français sur la cybersécurité ».
Robotisation et enjeux pour le travail, cybersécurité
Les mutations du travail, notamment liées à la robotisation et à l’intelligence artificielle (IA), sont brièvement évoquées dans les programmes des deux candidats. Marine Le Pen plaide pour un « secrétariat d’Etat dédié aux mutations économiques rattaché au ministère des finances » ; tandis qu’Emmanuel Macron veut « évaluer ses usages potentiels et ses enjeux pour le travail et l’emploi de demain » par le biais d’une « stratégie nationale pour l’intelligence artificielle ». Il a été précédé sur ce point en janvier par le gouvernement Hollande.
Concernant la lutte contre la criminalité sur Internet, et notamment le terrorisme, les deux candidats manquent de précision. M. Macron évoque « une guerre de l’information (…) sur Internet » contre le terrorisme, et ses propositions concernant le chiffrement – forcer les entreprises à fournir les clés – et la collaboration – étendue – avec les géants du numérique, évoquées récemment devant la presse, mélangeaient initiatives techniquement risquées et mesures déjà en place.
Sur ce point, Marine Le Pen veut « renforcer la lutte contre le cyberdjihadisme et la pédocriminalité », sans en préciser les modalités. La candidate d’extrême droite souhaite aussi « simplifier les procédures visant à faire reconnaître la diffamation ou l’injure ».
Couverture du territoire et taxation les géants du numérique
Les deux candidats entendent améliorer la connectivité du pays. Emmanuel Macron affirme que l’ensemble du territoire français sera couvert en très haut débit ou en fibre optique « d’ici la fin du prochain quinquennat ». Par ailleurs, « les opérateurs téléphoniques doubleront la couverture mobile en zone rurale pour réduire les zones sans réseau », promet-il, faute de quoi des « sanctions financières » seront prononcées.
Pour Marine Le Pen, les propositions vont dans le même sens, mais sont beaucoup plus allusives. Son programme indique qu’elle « soutiendra l’effort d’investissement en infrastructures », notamment le « très haut débit » et « la couverture téléphonique » avec un effort centré sur « la ruralité ».
Le leader d’En marche ! propose également, toujours de manière très floue, de « porter une stratégie d’inclusion » en « développant, avec les associations et les collectivités, un réseau d’accompagnement sur le territoire qui proposera du temps de soutien et des formations aux outils et aux services numériques ».
Les deux candidats souhaitent aussi mieux taxer les géants du numérique, sans pour autant proposer de solution concrète à cet épineux problème. La candidate du Front national souhaite « créer une taxe sur l’activité réalisée en France par les grands groupes », tandis que l’ancien ministre de l’économie veut « défendre une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé dans nos pays pour des prestations de service électronique » et « lutter contre les arrangements fiscaux entre Etats et entreprises multinationales ».