Le Prix Kourouma 2017 attribué à Max Lobe, le plus suisse des écrivains camerounais
Le Prix Kourouma 2017 attribué à Max Lobe, le plus suisse des écrivains camerounais
Par Catherine Morand
Le romancier, établi depuis quinze ans à Genève, regrette de ne pas pouvoir être fier de son pays d’origine dont le président, Paul Biya, est justement un grand amateur des palaces genevois.
L’écrivain camerounais Max Lobe, devant la rade de Genève | Editions Zoé
Au Salon du livre de Genève, l’écrivain d’origine camerounaise Max Lobe est connu comme le loup blanc. Il suffit pour s’en convaincre de le voir évoluer entre les différentes scènes, passer d’un stand à l’autre. Ecrivains, éditeurs ou ses nombreux lecteurs l’interpellent au passage pour un brin de causette, le saluent chaleureusement. Et lui, affable, charmant, un mot gentil pour chacun, ne boude pas son plaisir : ce Salon du livre, c’est un peu chez lui.
« Confidences », de Max Lobe
Confidences, de Max Lobe, suivi d’une lettre d’Alain Mabanckou à l’auteur, Zoé, 288 p., 20,50 €.
En 2011, le très documenté Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), de Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa et Thomas Deltombe (La Découverte), levait le voile sur la véritable guerre coloniale menée au Cameroun par la France et ses alliés locaux pour écraser le mouvement de libération nationale. Parmi les plus de 100 000 morts qu’elle a fait se trouvait Ruben Um Nyobè, grande figure de l’UPC (Union des populations du Cameroun), assassiné par l’armée française en 1958. Né à Douala en 1986 et installé en Suisse depuis 2004, l’écrivain Max Lobe, s’est passionné pour ce conflit. Dans la région de Boumnyébel, où Um Nyobè est né et est enterré, il découvre un pays qui a refoulé cette histoire et des jeunes gens qui ne souhaitent pas en savoir plus sur ces « gens-là qui sont morts pour rien » et qui « n’avaient qu’à boire leur part de bière tranquillement ». Heureusement, il y a Ma Maliga, vieille dame bavarde et malicieuse. « J’étais encore une jeune fille quand j’entendais Um Nyobè et ses camarades parler de leurs machins trucs de politique-politique là », lui dit-elle. On devine le plaisir de l’écrivain à retranscrire la langue de Ma Maliga, où le « camfranglais » (mélange de français, d’anglais, de locutions vernaculaires et de verlan) côtoie le bassa. Commencé comme un « retour au pays natal », Confidences, le troisième roman de Max Lobe, se lit comme un livre d’histoire d’un nouveau genre, vivant et porté par la voix du peuple. Gladys Marivat
« L’Exil », table ronde avec Alice Diop, Max Lobe, Zia Haider Rahman et Samar Yazbek. Vendredi 27 mai, à 19 heures.
Responsable de la programmation de la « Place suisse » pendant plusieurs années, il y anime à nouveau cette année débats et rencontres. Et ce vendredi 28 avril 2017, sur la scène du Salon africain du livre, il reçoit le prix littéraire Ahmadou Kourouma, pour Confidences (éditions Zoé). Un livre magnifique, intense et flamboyant, comme son auteur, qui nous emmène sur les traces de Ruben Um Nyobè, figure marquante de la lutte pour l’indépendance du Cameroun dans les années 50.
Comme si, en Afrique, rien ne changeait
« Que ce prix soit remis cette année à un auteur genevois prouve que la littérature africaine francophone se fait également ailleurs qu’à Paris ou Bruxelles », lâche dans un éclat de rire celui qui vit depuis plusieurs années dans cette ville, qu’il met en scène avec humour et empathie dans ses deux derniers livres, 39, rue de Berne et La Trinité bantoue, publiés aux éditions Zoé à Genève. Il avoue que, depuis qu’il écrit, les distinctions qui lui font le plus envie sont le Prix des Cinq continents de la francophonie (dont il a été à trois reprises l’un des dix finalistes) et le Prix Ahmadou Kourouma.
Car Max Lobe est un grand admirateur de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, décédé en 2003. Ce qui le sidère aussi c’est le sentiment, des décennies plus tard, d’écrire sur les mêmes thèmes que son illustre prédécesseur, et d’autres écrivains des années 50-60. Comme si, en Afrique, rien ne changeait jamais. « Moi, j’apporte juste la touche XXIe siècle, la génération X, Y, Z 2.0. Mais sur le fond, c’est la même chose : les dictateurs aux ordres des anciennes puissances coloniales, les privations de libertés, le pillage des matières premières ».
Lorsqu’il entend les députés de tel ou tel pays européen vouloir augmenter l’aide au développement pour freiner l’afflux de migrants, il hausse les épaules. « On ne demande pas la charité. Chacun sait où se situent les problèmes », lance-t-il en rappelant que « Papa », comme il surnomme le président du Cameroun Paul Biya, séjourne chaque année durant des mois à l’hôtel Intercontinental de Genève. « J’ai étudié en Suisse où je vis depuis près de 15 ans. Mais j’aurais voulu avoir le choix de rester chez moi », dit-il avec gravité.
Découvrir en exil l’histoire de son propre pays
A force de sillonner le monde entier pour représenter la Confédération lors d’événements culturels, il a parfois le sentiment d’être devenu « plus suisse que suisse ». « Même si on a une double nationalité, on devrait pouvoir être fier de son pays d’origine. Or, jamais on ne m’a donné l’occasion d’être fier de mon pays », déplore-t-il. Pour « Confidences », il a passé plusieurs mois au Cameroun. Et raconte, en termes choisis, le « sentiment d’amour indescriptible » qui le submerge lorsqu’il arrive à Douala puis, peu à peu, l’agacement face au bruit, à la saleté, à la chaleur, l’envie de rentrer à Genève. Puis à la veille du retour lui vient de désir de prolonger son séjour, de ne plus quitter son pays d’origine. « Nous sommes tous parcourus par deux ou trois identités, mais cela ne fait pas forcément de vous un citoyen du monde », insiste-t-il, visiblement agacé par ce concept à la mode.
Max Lobe serait très heureux si son livre Confidences, qui met en scène de grandes figures de l’histoire du Cameroun, pouvait être intégré aux programmes scolaires et vendu à un prix abordable dans son pays. Une manière d’initier ses compatriotes à une histoire contemporaine qu’il a lui-même découverte en Europe. « C’est important de savoir d’où l’on vient, où l’on va », estime-t-il. Lors de son dernier séjour, il s’est rendu dans le nord du pays, dans les régions où sévit Boko Haram, et en a tiré trois chroniques pour Le Monde Afrique. C’est aussi la trame de son prochain livre.
Le Monde Afrique est partenaire du prix Ahmadou Kourouma