Vidéo du Casa Nostra : la détresse des victimes face à des prévenus sans mémoire
Vidéo du Casa Nostra : la détresse des victimes face à des prévenus sans mémoire
Par Cécile Bouanchaud
Jugé pour avoir divulgué des images de vidéosurveillance de la fusillade qui s’était déroulée dans sa pizzeria le soir des attentats, le gérant a nié toute responsabilité.
Le gérant du Casa Nostra, Yann Abdelhamid Mohamadi, mercredi 26 avril, au Palais de justice de Paris où il était jugé pour avoir divulgué des images de vidéosurveillance de la fusillade qui s’était déroulée dans sa pizzeria le 13 novembre 2015. | JACQUES DEMARTHON / AFP
Deux mondes se sont fait face, mercredi 26 avril, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. D’un côté, des victimes en quête de réponses et de responsables. De l’autre, des prévenus louvoyant, refusant de reconnaître leur responsabilité dans un dossier pourtant étayé, où tout les accable. Principal suspect, le gérant du Casa Nostra, Yann Abdelhamid Mohamadi, était jugé pour avoir divulgué des images de vidéosurveillance de la fusillade qui s’était déroulée dans sa pizzeria le soir des attentats du 13 novembre 2015.
Avant de faire le tour du monde et de susciter l’indignation, ces images de clients affolés se réfugiant dans le restaurant pendant que les tirs fusent et que les vitres éclatent avaient été achetées et diffusées par le tabloïd britannique Daily Mail, pour une somme présumée de 50 000 euros. M. Mohamadi, allure impeccable et cheveux gominés, poursuivi pour l’« installation sans autorisation d’un système de vidéoprotection » mais aussi l’« enregistrement et (…) la divulgation d’images », n’était pas le seul à prendre place sur le banc des prévenus.
A ses côtés, deux hommes, soupçonnés de « complicité de divulgation d’images de vidéoprotection à une personne non habilitée ». Rabie Safer, présenté comme le « cousin » du gérant – qui est en réalité une connaissance – est soupçonné d’avoir joué les intermédiaires avec les journalistes britanniques. Hilaci-Laci Hamida Attia, surnommé le « hackeur », a quant à lui reconnu avoir permis de récupérer les images de vidéosurveillance en faisant sauter le code de sécurité.
« Je ne me souviens pas »
Dans le huis clos de la cave du restaurant Casa Nostra, qui a négocié la vente de ces images aux journalistes britanniques ? Interrogés tour à tour à la barre, les trois hommes évoquent « trous de mémoire », « absence de souvenir », « moments confus », comme un leitmotiv.
Echange symptomatique de ce procès qui résume la vacuité des arguments des prévenus : « Si j’ai fait appel à un hackeur, c’est pour récupérer les images à titre personnel, parce que je voulais voir ce qu’il s’était passé dans mon restaurant », explique M. Mohamadi, qui n’était pas présent dans son établissement le soir du 13 novembre. La présidente le relance : « Alors pourquoi sur une vidéo on vous entend dire au hackeur : “Ce soir, ce sera diffusé dans le monde entier” ? – Je ne me souviens pas avoir dit ça. »
Devant des rescapés estomaqués – cinq se sont constitués partie civile et trois étaient présents à l’audience – les prévenus évoquent également sans ciller « le choc post-attentat ». « Les terroristes m’ont raté de quelques minutes. J’étais sur la terrasse, mais je suis parti un peu avant l’attaque, j’avais froid. C’est ce qui m’a sauvé la vie : je suis allé boire un verre au chaud avec un ami », juge bon de rappeler le gérant du restaurant, précisant que le temps qui a passé depuis n’a pas éloigné les antidépresseurs. Se disant « encore traumatisé », l’homme à la mâchoire carrée et à la carrure imposante est toujours suivi par un psychiatre. « Nous aussi ça nous a choqués les attentats », abonde son « cousin », qui, lui, ne fait pas l’objet d’un suivi, « mais voudrait bien ».
Des gens passent devant la terrasse du Casa Nostra, une pizzeria de la rue de la Fontaine-au-Roi, dans le XIe arrondissement de Paris, qui avait été prise pour cible le soir du 13 novembre 2015. | PATRICK KOVARIK / AFP
Une vidéo devenue « obsessionnelle »
Des propos difficilement audibles pour les trois jeunes victimes, pour qui la diffusion de ces vidéos a mis à mal un processus de reconstruction, déjà éprouvant et sinueux. A l’allure droite et au teint halé du gérant, ils opposent à la barre leur mine pâle et leur silhouette frêle. Ces anciens habitués du Casa Nostra évoquent d’une même voix « l’angoisse », « le choc terrible », « la déflagration », qu’a constitués la divulgation de cette vidéo. D’autant que ce sont leurs proches qui les ont alertés de l’existence de celle-ci. Pour Quentin, allure élancée, traits fins, la vidéo est apparue sur son fil Facebook. Pour Ralph, veste noire et lunettes larges, c’est son employeur qui lui a mis sous le nez. Ce dernier résume :
« Ma famille a vu la vidéo avant même que j’aie eu le temps de trouver les mots pour leur expliquer ce qu’il s’était passé. »
Ces images, qui les ont replongés dans l’enfer du 13 novembre, sont rapidement devenues « obsessionnelles ». Les victimes racontent les sempiternels visionnages de cette vidéo qui représente pour eux « un retour à la réalité vis-à-vis d’un événement dont ils ne restaient que quelques bribes en raison d’une protection spontanée du cerveau », résume Me Soreau, l’un des avocats des parties civiles.
Comme étape essentielle de leur guérison, les parties civiles réclament « de mettre les responsables devant leur responsabilité » :
« Cette vidéo a été mise en ligne, il y a des responsables et des responsabilités, et personne ici ne veut les reconnaître. »
Grand absent
Durant toute l’audience, les prévenus ont tenté de se dédouaner sur le grand absent de ce procès, le journaliste français Djaffer Ait Aoudia, qui a filmé en caméra cachée la négociation entre les prévenus et les journalistes du Daily Mail. A l’époque, le reporter était entré en contact avec le gérant, dans le but de réaliser un documentaire sur l’attaque au Casa Nostra. « C’est lui qui m’a donné l’idée de vendre les vidéos. Sinon, je n’y aurais jamais pensé. Je ne savais pas que ça pouvait se vendre ce genre de trucs », assure M. Mohamadi, avant d’ajouter : « J’ai refusé de le faire d’ailleurs. »
Sauf que le journaliste en question, qui avait remis sa caméra cachée au « Petit Journal » de Canal+, a filmé cinq heures de rushs accablants pour les prévenus. « On est les seuls à avoir les tireurs », « Il y a de l’argent à se faire », « Je stresse grave », « Ça vaut de l’oseille », peut-on entendre dans des extraits de cette caméra cachée durant laquelle les prévenus déploient une énergie folle pour mener à bien les négociations avec le Daily Mail.
Dans son réquisitoire, la procureure a estimé que les faits reprochés étaient établis pour l’ensemble des prévenus, arguant notamment qu’ils avaient agi de cette façon « pour l’argent ». Si elle a qualifié le rôle du journaliste français de « trouble et détestable », évoquant « une attitude qui tend à être celle de la provocation à la commission de l’infraction », le représentant du ministère public rappelle toutefois que son rôle dans la vente de la bande « n’a pas été démontré ».
La procureure a requis 300 jours-amendes à 150 euros, soit 45 000 euros, à l’encontre du gérant. Elle a ensuite réclamé 240 jours-amendes à 60 euros (14 400 euros) pour le cousin du gérant et 180 jours à 40 euros (7 200 euros) pour le hackeur. « J’estime que ce réquisitoire est juste ; l’argent qu’ils se sont fait sur notre dos nous revient », réagit Quentin, l’un des parties civiles en sortant du procès, dont le délibéré est attendu le 24 mai.