Marine Le Pen en meeting, à Nice, le 27 avril. | Claude Paris / AP

Editorial du « Monde ». Ce n’est pas une péripétie. Ce n’est pas insignifiant. Ce n’est pas un « détail », est-on tenté de dire. Le président par intérim du Front national (FN), Jean-François Jalkh, a été contraint, vendredi 28 avril, à démissionner. Nommé il y a quelques jours à la tête du FN par Mme Marine Le Pen qui, par ce geste, entendait séduire au-delà de son électorat habituel, M. Jalkh s’est vu reprocher un passé « négationniste ». Le chef d’une formation dont la candidate, Mme Le Pen, guigne la plus haute fonction élective en France doutait de la réalité des chambres à gaz durant la deuxième guerre mondiale.

Voilà une affaire pleine de sens et qui, à quelques jours du deuxième tour de l’élection présidentielle, devrait faire singulièrement réfléchir sur la nature du parti que certains prennent le risque d’installer à l’Elysée. Mme Le Pen s’est efforcée, non sans succès, de « banaliser » le FN, de masquer la génétique d’une formation qui, au regard de l’histoire moderne de la France, n’est pas comme les autres. On a suffisamment – ou peut-être pas assez ? – reproché à une partie de la gauche d’avoir été complaisante à l’adresse des crimes de masse du stalinisme ou du maoïsme pour s’arrêter un instant sur cette « affaire » Jalkh. Elle est importante.

Le fondateur du FN, Jean-Marie Le Pen, juge que les chambres à gaz – l’outil de la destruction des juifs d’Europe durant la guerre – sont « un détail de l’Histoire ». Lors d’un entretien enregistré en 2000 par une politologue, M. Jalkh déclarait à son tour « impossible, d’un point de vue technique », que le gaz Zyklon B ait été « utilisé dans des exterminations de masse ». Il disait encore son admiration pour un négationniste comme Robert Faurisson. Comment qualifier cette insistance à nier la singularité du crime dont les juifs – et les Tziganes – ont été les victimes ? Pourquoi cette obsession à refuser l’un des faits les plus scientifiquement avérés de l’histoire moderne ?

Obscénité morale

Il n’y a pas que M. Jalkh. Au sein du FN, dans l’entourage immédiat de Mme Le Pen, on trouve des gens qui, dans leur jeunesse, ont nourri des sympathies pour les acteurs les plus criminels de l’histoire de l’Europe. Mme Le Pen le sait. Son affiche électorale ne porte ni son nom ni la mention du FN. Faudrait-il cacher quelque chose ? Masquer le fait que son parti est l’héritier, l’incarnation d’une extrême droite dont l’attachement à la démocratie, aux droits de l’homme, aux libertés publiques et à la vérité historique est plus que douteux ?

Par un extraordinaire tour de passe-passe, une sorte d’obscénité morale, les nouveaux dirigeants du FN osent se revendiquer du gaullisme. La vérité est que ceux qui ont fondé ce parti ont toujours été contre tout ce que de Gaulle a représenté : le refus du régime de Vichy (durant la deuxième guerre mondiale) ; les institutions de la Ve République ; l’entrée à l’Europe communautaire ; l’indépendance de l’Algérie, notamment. Mme Le Pen a, ­hélas, très largement réussi son opération de banalisation. De très nombreux électeurs ignorent tout de la vraie nature du FN – et du danger qu’il représente pour la France.

Peut-être en va-t-il des partis comme des peuples. L’exercice de la démocratie suppose de regarder sa propre histoire en face, bien en face. On s’en éloigne quand on cherche à la cacher, cette histoire, à la truquer, à la masquer aux électeurs, comme le fait le FN. En cela, « l’affaire » Jalkh est loin, très loin, d’être « un détail ».