TV : « I Pay for Your Story », une détresse américaine
TV : « I Pay for Your Story », une détresse américaine
Par Alain Constant
Notre choix du 1er mai. A Utica, ville sinistrée des Etats-Unis, Lech Kowalski a proposé aux habitants de les rémunérer pour recueillir leur histoire (lundi 1er mai, à 0 h 15, sur Arte).
Trailer | I Pay for Your Story | Lech Kowalski
Durée : 01:55
C’est une petite ville située à moins de cinq heures de route au nord de New York. Il y faisait autrefois bon vivre si l’on en croit les témoignages recueillis dans ce documentaire poignant. Aujourd’hui, Utica symbolise une Amériqueen perdition. Avant, il y avait de grandes usines, des magasins, des restaurants, du travail pour presque tout le monde, entre le textile et la fabrication d’appareils photo chez General Electric.
Aujourd’hui, les usines ont fermé, les boutiques également, et l’emploi semble avoir disparu du paysage. Documentariste réputé, Lech Kowalski a vécu une partie de son enfance et de son adolescence à Utica avec ses parents, immigrés polonais venus trouver une vie plus douce en Amérique. En voix off, il se rappelle des bons moments, de la patinoire en été, de la musique, de la vie.
Lech Kowalski et Kevin, surnommé « Smitty », après le tournage. Kevin, 60 ans, a été condamné pour meurtre et veut retourner en prison pour y passer ses vieux jours car il ne peut survivre dans les rues d’Utica sans emploi. | Revolt Cinéma
De retour dans cette ville désormais sinistrée, Lech Kowalski a eu une idée aussi simple qu’efficace : installer une caméra sous la véranda d’un immeuble délabré qui abrita autrefois un night-club réputé, et faire parler des habitants de leur vie, moyennant 15 dollars par témoignage. Un néon a d’ailleurs été suspendu, sur lequel est inscrit : « I Pay for Your Story » (« Je paye pour votre histoire »). Le résultat de ce travail est aussi passionnant que déprimant. La plupart des volontaires prêts à se livrer, hommes ou femmes, sont noirs, ont fait de la prison, connu des histoires familiales parfois tragiques, ont vivoté grâce au trafic de drogue dans la rue.
« Il y a trop de violence, les gens se font tuer pour rien », indique Malik, 15 ans. « Il n’y a aucune perspective ici. Rien pour les enfants, pas de boulot. Et si tu as un casier judiciaire, cela te poursuit toute ta vie », raconte un autre témoin. « La ville reçoit de l’argent par des donations et des subventions. Mais au lieu d’investir pour améliorer la vie des gens, la mairie construit des trucs inutiles comme des ronds-points », souligne une femme, qui ajoute : « J’ai laissé la rue me voler mon adolescence. » Parmi les nombreux témoignages, on retiendra celui de Tim, 42 ans, qui a grandi dans ces rues : « Lorsque j’étais enfant, Utica était une ville magnifique. Il y avait plein de travail, des activités pour les enfants. Mais tout s’est détérioré. Aujourd’hui, 80 % des gens de ma génération sont en prison. Les autres sont morts… » Une plongée glaçante dans une Amérique à la dérive.
I Pay for Your Story, de Lech Kowalski (France, 2016, 95 min).