Préparation des banderolles pour le sit-in. Marion Dumoulin (à gauche) organise avec des camarades une mobilisation à la sortie du concours de Sciences Po Grenoble. | MARION DUMOULIN

« Je suis élève en CUPGE IEP [cycle universitaire préparatoire aux grandes écoles - institut d’études politiques] à Rouen, une sorte de classe prépa aux concours des Instituts d’études politiques, qui dure un an et se déroule au sein de l’université. Dans ce cadre, on a beaucoup travaillé sur deux thèmes assez proches : d’une part, la mémoire du goulag, pour Sciences Po Grenoble ; d’autre part, la mémoire, l’un des sujets du concours commun à 7 IEP.

Cela nous a beaucoup intéressés. D’autant que le livre de l’historien au programme de Grenoble, plutôt que d’évoquer ce qui s’est passé dans ces camps de travail forcé, est très ancré dans le présent : il relate les traces que le goulag a laissées, à la fois sur le terrain et dans les esprits. C’est une façon d’aborder l’humain qui m’a parlé. Dans ce livre et au fil de nos recherches, on a appris qu’il n’y avait pas eu de politiques mémorielles sous Poutine ou Medvedev. Aujourd’hui, Staline réapparaît dans les manuels scolaires russes comme un héros du second conflit mondial, comme s’il était extérieur au communisme et au goulag.

J’ai aussitôt fait le lien quand j’ai lu, ces dernières semaines, les articles sur des prisons secrètes, voire des camps en Tchétchénie, où sont persécutés des homosexuels. Les associations parlent d’une centaine de personnes enlevées, d’au moins trois qui seraient mortes. Cela m’a touchée, et fait réfléchir aussi : en France, malgré la réforme du mariage pour tous, j’entends encore des propos homophobes. J’ai des amis homosexuels qui n’osent pas dire qu’ils le sont. Avec mes camarades de la prépa, on a beaucoup parlé de la Tchétchénie. Surtout qu’on sait que la Russie a déjà connu les camps, et que, faute de politique mémorielle, les jeunes Russes ne sont pas au courant de ce qu’il s’est passé.

Je pense que ce qui m’a donné envie d’agir, c’est aussi que Marine Le Pen se qualifie pour le second tour de la présidentielle, même si on s’y attendait tous un peu. Elle avait fait sa sortie sur la rafle du Vél d’Hiv. Alors que pour moi la responsabilité de l’Etat français dans la déportation de Juifs durant la seconde guerre mondiale ne doit pas être remise en cause. C’est comme si la candidate du Front national (FN) éludait la mémoire. Et puis, en cette période où dès que je dis que je fais des études de politique, on me renvoie au “tous pourris”, j’ai eu besoin de montrer que quand on choisit ce domaine, c’est dans l’espoir de faire bouger les choses, pas pour être sur le devant de la scène.

J’ai lancé l’idée, sur le groupe Facebook de ma classe, d’un sit-in à la sortie du concours de Sciences Po Grenoble. Beaucoup d’autres élèves étaient partants et se sont mobilisés. On a pris contact avec une association LGBT apparemment très active à Sciences Po Grenoble, En tous genres, ainsi qu’avec des étudiants et des professeurs sur place. La direction de l’école devrait faire une annonce à l’issue du concours pour que tous les candidats soient au courant. On a prévenu plusieurs médias, une autre asso LGBT grenobloise participera. Comme pendant l’année, l’entraide entre nous est forte, même si c’est dur de trouver du temps dans la dernière ligne droite des révisions. On a fait quelques banderoles à la cafet’ de la fac, avec #Tchétchénie aux couleurs du rainbow flag [drapeau arc-en-ciel], et “Si c’est un homo”, en référence au livre de Primo Levi, survivant d’Auschwitz.

Lors du sit-in on prévoit de raconter ce qui se passe en Tchétchénie, puis de respecter une minute de silence et de proposer aux participants de prendre la parole. On voudrait que la France réponde présente à la demande des associations en Russie : elles expliquent qu’elles ne pourront pas mettre en sécurité longtemps les homosexuels qui ont trouvé refuge auprès d’elles, qu’il faut que les pays qui respectent les droits de l’homme, notamment ceux d’Europe, les accueillent.

Samedi à Grenoble, la météo prévoit de la pluie, mais on espère être le plus nombreux possible et que le message portera. Ce pourrait aussi être une façon de se réunir autour de l’Europe. De nous souvenir tous ensemble que cette Union européenne aujourd’hui en crise s’est construite autour d’un projet de paix, et d’entretien de la mémoire, pour empêcher un nouveau génocide. Accueillir ces homosexuels persécutés témoignerait d’une Europe en accord avec ses valeurs. Ce sont ces valeurs que nous, étudiants et futurs étudiants de Sciences Po souhaitons porter, juste avant le second tour de l’élection présidentielle. »

L’événément Facebook : Concours Grenoble : sit-in contre les camps en Tchétchénie

Voir aussi ce reportage de France 24 : Tchétchénie : des homosexuels persécutés se confient cet article du Monde : La Tchétchénie accusée de persécuter des homosexuels
et ce reportage Le calvaire des homosexuels tchétchènes
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