En Côte d’Ivoire, la fermeté face aux mutins réclamant « l’argent promis »
En Côte d’Ivoire, la fermeté face aux mutins réclamant « l’argent promis »
Par Sébastien Hervieu (Abidjan, correspondance, avec Cyril Bensimon à Paris)
Ex-rebelles intégrés dans l’armée, les mutins réclament le paiement de primes promises par le gouvernement après les mutineries de début janvier.
Des soldats ivoiriens à proximité du camp militaire Gallieni, à Abidjan, vendredi 12 mai. | ISSOUF SANOGO / AFP
Des tirs en l’air résonnent par intermittence. Parfois en rafales. Des passants se mettent à courir. Calfeutrés dans leurs bureaux des grandes tours administratives du quartier du Plateau d’Abidjan, les employés attendent l’accalmie.
Vendredi 12 mai au matin, des petits groupes de militaires bloquaient les routes jouxtant le camp militaire Gallieni où siège l’état-major des armées. Kalachnikovs à la main, ils ne décoléraient pas.
« On nous a trahis ! » enrage un mutin en treillis, bandeau sur la tête. Derrière lui, un homme passe avec un lance-roquettes. « Le président nous avait promis l’argent et maintenant, il nous dit que c’est impossible », reprend le soldat, « ça ne se passera pas comme ça ! ».
Autour de lui, devant l’entrée principale du vaste camp, une quinzaine de mutins, exigeant l’anonymat, assurent avoir été surpris jeudi en regardant les images de la télévision nationale. Lors d’une cérémonie diffusée en différé, le sergent Fofana, présenté comme le porte-parole des militaires qui s’étaient mutinés en janvier, assurait alors au président que ceux-ci renonçaient au complément de primes promises à l’époque. L’accord concernait 8 400 soldats, des ex-rebelles du Nord, soutiens d’Alassane Ouattara lors de son accession au pouvoir en 2011.
« Un poignard dans le dos »
Les autorités s’engageaient, pour leur part, à améliorer les conditions de logement et accélérer l’avancement des soldats. « Nous prenons l’engagement solennel de nous ranger et de nous mettre aux ordres de la République », ajoutait le sergent avant d’exécuter un salut militaire au chef d’Etat.
« Nos délégués nous ont planté un poignard dans le dos », réagit un mutin. Sa colère est alimentée par une rumeur. Un texto circule de téléphone en téléphone affirmant que les représentants des mutins ont touché de l’argent pour céder. Une accusation invérifiable.
« Moi, j’ai bien reçu en janvier les premiers 5 millions de francs CFA [7 600 euros], mais les autres 7 millions devaient commencer à être versés ces jours-ci », tonne un mutin. Il sort son portable, et montre à l’écran la photo d’un terrain en chantier. « Regardez, je fais construire une maison avec trois chambres et un salon, où vais-je trouver l’argent nécessaire si on ne me donne pas le reste de ma prime ? »
Un mouvement dans tout le pays
A ses côtés, un de ses camarades opine du chef : « Nous sommes plusieurs à avoir pris des crédits pour acheter une moto ou une voiture, j’ai même promis à mes parents de leur offrir un voyage à La Mecque. » A l’abri derrière un mur, un habitant maudit ces « soldats trop gourmands » : « Ils ne se rendent pas compte que leurs 5 millions, c’est déjà beaucoup ». Presque la moitié de la population ivoirienne vit toujours sous le seuil de pauvreté.
Les démonstrations de colère des mutins ne se cantonnent pas qu’à la capitale économique ivoirienne. A Bouaké, deuxième ville du pays et épicentre des mutineries de janvier, des soldats sont sortis de leurs casernes, entraînant la fermeture de commerces. « Nous ne cherchons pas à faire du mal à la population », insiste l’un d’entre eux, joint au téléphone, « mais notre président nous a donné sa parole, et il doit la respecter ». La grogne touche alors aussi Man, Korhogo et Odienné. Aucun blessé n’a été déploré.
En milieu de journée à Abidjan, des membres de la garde républicaine, à bord de pick-up, approchent de l’entrée du camp. De vives discussions s’ensuivent avec les mutins qui tirent de nouveau en l’air. Les loyalistes rebroussent chemin. Dans l’après-midi, après un conseil national de sécurité convoqué d’urgence par Alassane Ouattara, les autorités affichent leur fermeté. Des forces de sécurité en nombre plus conséquent rentrent sans grande difficulté dans le camp.
« Wattao [commandant de la garde républicaine] est venu, il nous a dit de laisser les armes et de rentrer chez nous », raconte un rebelle, confirmant les dires d’un autre soldat. Les mutins se dispersent, le calme revient alors au Plateau. Dans le reste de la ville, les Abidjanais avaient continué à vaquer normalement à leurs occupations.
Appel au calme
Dans la soirée, lors d’une allocution télévisée, le chef d’état-major des armées s’est montré inflexible. « Tout militaire se livrant à des actes répréhensibles s’expose à des sanctions disciplinaires sévères telles que prévues par le règlement », déclare le général Touré Sekou. Lançant « un appel au calme », il a regretté que ces mutins, « se désolidarisant de leurs camarades et ainsi de l’ensemble de leurs frères d’armes, aient entrepris de perpétrer des actes peu honorables de défiance à l’autorité ».
Pour Arthur Banga, spécialiste des armées à l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, cette grogne ne concerne qu’« une minorité d’irréductibles dont le mouvement manquait de coordination ». « Le gouvernement négociait depuis janvier le renoncement des mutins au reliquat de leurs primes, affirme le chercheur, car il s’est rendu compte que sa promesse initiale était catastrophique pour les finances de l’Etat et qu’elle poussait d’autres groupes, comme les fonctionnaires, à réclamer eux aussi des bonus. »
Jeudi soir, le président Ouattara avait rappelé que la Côte d’Ivoire traversait « des moments très, très difficiles ». Il précisait que la chute du prix du cacao, dont le pays est le premier producteur mondial, avait grevé le budget de l’Etat de « près de 1 milliard d’euros ». Confiant, il affirmait alors : « Je suis sûr que vous serez des militaires exemplaires (…), que votre loyauté à l’égard de la Nation ne fera plus jamais défaut. »
Si le calme régnait dans le pays samedi matin, un mutin joint à Bouaké ne comptait pas en rester là. « A l’issue d’une réunion nocturne, nous avons décidé de maintenir notre position jusqu’au règlement de ce qui nous a été promis, affirme-t-il. S’ils veulent nous radier de l’armée, qu’ils le fassent, ça fait partie de la vie d’un homme, mais nous sommes prêts à tout. » Puis de conclure, menaçant : « Les traîtres, nous leur ferons la peau, on se connaît. »