Jean-Yves Le Drian, le 20 janvier 2016 à Paris. | Thibault Camus / AP

La Constitution de la Ve République donne un rôle central au chef de l’Etat dans l’élaboration et la conduite de la politique étrangère. Emmanuel Macron, qui n’a cessé de répéter vouloir être « un président qui préside », la mènera avec Jean-Yves Le Drian, le nouveau titulaire du Quai d’Orsay. Le nouvel intitulé est révélateur. Il est ministre de l’Europe et des affaires étrangères. C’est la grande priorité. Le chef de l’Etat appelle à « refonder », et le moteur franco-allemand. « La relation avec Berlin est consubstantielle à sa vision de ce que doit être la politique étrangère française, et c’est à partir de ce pilier que tout se déploie », relève Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Voici les principaux dossiers qui attendent la diplomatie tricolore.

Les grands rendez-vous à venir

L’agenda est déjà très dense. Dès le 25 mai, le sommet de l’OTAN, à Bruxelles, sera pour Paris l’occasion d’insister sur la nécessité d’une défense européenne plus unifiée et renforcée au sein de l’Alliance atlantique, comme Emmanuel Macron l’a rappelé à Berlin le 15 mai, au lendemain de son investiture.

Le nouveau président français y rencontrera pour la première fois son homologue américain, Donald Trump, pour un déjeuner, et il le reverra les deux jours suivants à Taormine, en Sicile, pour le sommet du G7. Pour l’un comme pour l’autre, ce sera leur baptême du feu dans une telle arène. Le jeune vainqueur de la présidentielle française y suscite beaucoup de curiosité. « L’élection d’Emmanuel Macron marque la fin d’une série noire après le Brexit et celle de Trump, souligne un diplomate. Ce qu’il incarne est déjà en soi un symbole, et sa voix n’en sera que plus audible ces prochains mois. »

Ce sera vrai lors du sommet du Conseil européen des 22 et 23 juin, mais aussi en juillet pour le sommet du G20 à Hambourg, en Allemagne, et ses premières rencontres avec, notamment, les présidents russe et chinois, Vladimir Poutine et Xi Jinping.

En outre, d’ici à la fin de sa première semaine au pouvoir, le président français, comme il s’y était engagé, se rendra dans le Sahel, probablement à Gao, au Mali, pour rencontrer les militaires français participant à l’opération « Barkhane », quelque 3 500 soldats déployés dans cinq pays. Une manière d’affirmer sa stature régalienne de chef des armées et de montrer sa détermination à combattre le terrorisme où qu’il soit.

Syrie et Irak

C’est un dossier clé pour le nouveau titulaire du Quai d’Orsay. La France est le deuxième contributeur – avec 5 % des frappes effectuées en 2016, très loin derrière les Etats-Unis – à l’engagement militaire de la coalition internationale en Irak et en Syrie.

Depuis le début de la révolution syrienne au printemps 2011, puis de l’implacable répression menée par le régime, les autorités françaises ont été les plus fermes soutiens des insurgés exigeant le départ du président syrien, Bachar Al-Assad. François Holande est toujours resté convaincu que l’histoire aurait pu être différente si Barack Obama, alors président des Etats-Unis, n’avait pas renoncé, en août 2013, à mener avec Paris des frappes contre un régime coupable d’avoir utilisé l’arme chimique contre sa propre population.

L’intervention russe de septembre 2015, puis la reconquête de l’intégralité de la ville d’Alep en décembre 2016 ont renforcé le régime. La position française rappelant qu’« Assad ne peut représenter l’avenir de son peuple » est néanmoins à nouveau plus audible après que le régime a récidivé, début avril, en bombardant au gaz sarin un petit village région d’Idlib. Le nouveau président américain, Donald Trump, qui semblait jusque-là avoir renoncé à se débarrasser du dictateur, a ordonné une frappe punitive.

Si l’on évoquait déjà pendant la campagne dans l’équipe de Macron une « grande initiative humanitaire sur la Syrie », les contours en restent bien flous. Le processus de Genève est enlisé et, sur le terrain, le régime contrôle l’essentiel de la Syrie dite utile où vivent 70 % de la population restée dans le pays.

Le conflit au Moyen-Orient

« La France se croit toujours attendue dans la région, mais elle a du mal à y retrouver sa place », notait Dorothée Schmid dans un texte de l’IFRI publié avant la présidentielle sur les enjeux du nouveau quinquennat en politique étrangère. Paris avait été pour le moins pris de court par les printemps arabes. L’administration Hollande a en partie récupéré le terrain perdu en renforçant les relations avec les monarchies sunnites du Golfe et l’Arabie saoudite, mais aussi en renouant avec l’Iran chiite après l’accord sur le nucléaire.

« La diplomatie française doit jouer pleinement son rôle d’honnête courtier à même de discuter avec toutes les parties », assure un diplomate. Elle s’y essaie non sans quelques succès, au moins en termes d’image. En témoigne, par exemple, la conférence organisée à Paris à l’automne 2016 pour rappeler, au moins symboliquement, l’importance de relancer un processus de paix israélo-palestinien fondée sur une solution à deux Etats. C’est l’un des sujets que reprendra la nouvelle équipe, alors même que M. Macron n’a cessé de répéter la nécessité de créer les conditions d’une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens.

Mais le Moyen-Orient restera-t-il une priorité alors même que la France veut mener une diplomatie à l’unisson avec une Allemagne toujours plus présente dans la région mais encore gênée par le poids de son passé ?

Les accords de Minsk

Parrainés par Paris et Berlin, les accords de Minsk de février 2015 avaient permis d’instaurer un cessez-le-feu en Ukraine avec les rebelles séparatistes de l’est du pays, soutenus par Moscou. Ils restent l’un des grands enjeux de la difficile relation de la France avec la Russie. La levée des sanctions décrétées par les Européens dépend de la pleine mise en œuvre de ce plan de paix, qui reste en bonne part lettre morte, notamment dans son volet politique.

Moscou dénonce la mauvaise volonté de Kiev à mettre en œuvre la décentralisation, et les autorités ukrainiennes pourfendent le soutien russe aux rebelles, qui renforcent de mois en mois leur mainmise sur les zones occupées. Paris reste en Europe l’une des capitales les plus fermes. Le candidat Macron, au début de sa campagne, était assez prudent.

Une attaque de hackeurs liés à la Russie sur le site d’En marche ! et les attaques personnelles du site de propagande Sputnik ont eu un effet boomerang, lui faisant comprendre pleinement ce qu’était le pouvoir russe. Dès la mi-mars, lors de son grand discours de politique extérieure et de défense, il avait durci le ton face à Moscou. « Devenu président, il ne peut que réaliser encore plus précisément grâce aux sources d’informations dont il dispose la densité de l’ingérence russe en France », relève un diplomate. Mais la fermeté n’empêche pas le dialogue et le maintien du contact avec le Kremlin, interlocuteur clé sur d’autres dossiers, dont celui de la Syrie.

Les relations avec Donald Trump

Le président américain a appelé Emmanuel Macron le 8 mai, au lendemain de sa victoire, et ils se rencontreront dès le 25 mai en marge du sommet européen, qui se tient à Bruxelles. Entretenir de bonnes relations avec les Etats-Unis est essentiel, notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste, dont les deux pays en sont les piliers. François Hollande n’a jamais rencontré Donald Trump mais il s’est entretenu avec lui plusieurs fois au téléphone depuis son investiture, en janvier.

L’une des priorités de Jean-Yves Le Drian sera de tenter d’éviter une dénonciation par Washington de l’accord de Paris sur le climat, qui a représenté l’un des grands succès de la diplomatie française des dernières années.

Au-delà de cette question, il n’y a guère de contentieux avec les Etats-Unis. Le caractère pour le moins imprévisible des initiatives du locataire de la Maison Blanche inquiète la diplomatie française et pas seulement elle. Mais il y a aussi les opportunités qui en découlent.

Les Nations unies et le multilatéralisme

« Alors même que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, par leurs votes récents, tournent le dos aux valeurs d’ouverture qui caractérisent le projet de l’Occident depuis 1945, la France pourrait représenter un pôle de raison et de valeur dans le monde », souligne Laurence Nardon, de l’IFRI, relevant qu’elle dispose pour cela de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

La prochaine Assemblée générale des Nations unies, à l’automne, sera l’occasion pour M. Macron de faire entendre à nouveau la voix de la France. « Le dire en politique étrangère est très important, et il y a une attente sur le nouveau président français », analyse Bertrand Badie, professeur à Sciences Po. Celui-ci souligne qu’Emmanuel Macron, qui se veut ouvert à la mondialisation comme au multilatéralisme dans les relations internationales, se devrait de lancer depuis la tribune de l’Organisation des Nations unies une initiative forte « par exemple sur une gouvernance mondiale des migrations » ou sur « une gouvernance sociale mondiale ». Cela laisse au Quai d’Orsay jusqu’à septembre pour plancher sur le sujet.