Pour les supporteurs strasbourgeois, la traversée du désert a été un retour aux sources du football
Pour les supporteurs strasbourgeois, la traversée du désert a été un retour aux sources du football
Par Anthony Hernandez
Placé en liquidation judiciaire en 2011, le Racing Club de Strasbourg est reparti du niveau amateur pour se retrouver aujourd’hui aux portes de la Ligue 1. Ses supporteurs ne l’ont jamais abandonné.
Strasbourg pourrait retrouver la Ligue 1 vendredi soir. | XAVIER LEOTY / AFP
Une victoire face à Bourg-en-Bresse, vendredi soir, à l’occasion de la dernière journée de Ligue 2, et le Racing Club de Strasbourg (RCS) retrouverait l’élite, après neuf années d’absence. Relégué en Ligue 2 en 2008, puis en National en 2010, avant de déposer le bilan et de repartir en 2011 en CFA 2 (l’équivalent de la cinquième division), le club alsacien est en passe de renouer avec son passé de place forte du football français.
La nouvelle équipe dirigeante, menée par l’ancien joueur Marc Keller, devenu président, a su rétablir une relation privilégiée avec les supporteurs, dont la ferveur a été curieusement renouvelée par le passage dans le monde amateur. Deuxième affluence de Ligue 2 (16 430 spectateurs de moyenne pour une capacité de 29 000 places au stade de la Meinau) – seul Lens a fait mieux –, Strasbourg a établi ces dernières années de nouveaux records de spectateurs dans les divisions inférieures qu’il a traversées.
Grégory Walter, vice-président de la Fédération des supporteurs du club et membre du groupe ultra UB90, n’a pas manqué un match, que ce soit à domicile ou à l’extérieur, depuis quinze ans. Il revisite, pour Le Monde, ces saisons de purgatoire qui font du RC Strasbourg « un club à part ».
- Des années d’instabilité et de multiples ascenseurs
En 1997, après une victoire en Coupe de la Ligue, le premier trophée remporté par le club depuis le titre de champion de France de 1979, le groupe américain IMG (International Management Group) prend le contrôle du RCS. Malgré un beau parcours européen en 1998 (8es de finale face à l’Inter Milan) et une victoire en Coupe de France en 2001, l’expérience n’est pas une franche réussite…
La relégation en Ligue 2 en 2001 sanctionne même cette gestion erratique, qu’une remontée immédiate en 2002 ne suffira pas à faire oublier. « A la fin des années 1990 et au début des années 2000, on est loin de la ferveur actuelle, se souvient Grégory Walter. Le club est instable, il fait l’ascenseur entre la Ligue 1 et la Ligue 2. Les différentes directions qui se succèdent ne font pas l’unanimité. L’ambiance autour du club s’est bien refroidie. »
En 2003, des investisseurs locaux s’emparent des manettes. Les débuts sont plutôt positifs, avant que cela ne se gâte brutalement. « En 2005, on pense avoir retrouvé les sommets. On gagne la Coupe de la Ligue et on a le sentiment que la période compliquée des dirigeants américains qui ont fait n’importe quoi est derrière nous. Pourtant, le lendemain de cette victoire, il y a des dissensions entre les actionnaires et la chute commence. On descend en Ligue 2 la saison d’après, avant de remonter brièvement en 2007. »
- 2008, anus horribilis
Le début de la saison 2007-2008 est plutôt positif. Strasbourg réalise un parcours encourageant jusqu’au mois de février. Là, catastrophe, l’équipe entraînée par Jean-Marc Furlan ne met plus un pied devant l’autre et se disloque. « Alors qu’il nous manquait à peine trois points pour nous maintenir, on enchaîne onze défaites consécutives. C’est une série vertigineuse. On passe trois ou quatre mois à perdre 100 % des rencontres. On est une nouvelle fois relégué en deuxième division, et même en National en 2010. En résumé : en février 2006, on joue la Coupe d’Europe, en août 2011, on est en CFA 2. On n’a pas trop le temps de comprendre ce qui nous arrive. »
- Une liquidation salutaire
Un an après la relégation sportive en National, le club alsacien est en grande difficulté financière. Le RCS est placé en liquidation judiciaire et perd son statut professionnel. Les actifs sont repris et le club repart en CFA 2, la cinquième division nationale. « A mon sens, ce qui fait qu’il existe aujourd’hui une telle ferveur autour du club, c’est ce passage par le monde amateur. On est reparti d’une page blanche. Il faut savoir que l’on traînait des casseroles sans fin qui dataient de la fin des années 1990, comme la fausse signature de Chilavert (fantasque gardien paraguayen)… En 2011, les procès courent toujours. La liquidation a eu le mérite de nettoyer tout ça. »
Club historique du football français, le Racing club Strasbourg s’acclimate sans trop de peine aux rudes joutes des amateurs. Avec un recrutement de joueurs du cru, il décroche deux montées consécutives pour se retrouver en National à l’été 2013. « Depuis 2011, et à part une saison difficile en National où l’on a été repêché administrativement, on a beaucoup gagné. Si l’on confirme notre montée ce soir, ça fera quatre accessions en six saisons. Or, la première chose que les supporteurs ont envie de voir, c’est leur équipe gagner, bien avant de voir tel ou tel adversaire. »
La saison 2007-2008 a été terrible pour les joueurs strasbourgeois. | FRANK PERRY / AFP
- L’amateurisme, un retour à l’essence du foot populaire
Les liens entre les supporteurs et le club se sont renforcés, la barrière afférente au professionnalisme n’existant plus. Une anecdote sur le premier match à domicile de la saison en CFA 2 l’illustre bien : « La Meinau était dans un état déplorable. Du vendredi 15 heures au samedi midi, les supporteurs ont nettoyé 10 000 sièges pour accueillir le public décemment. C’était une symbolique forte, quelques semaines après la liquidation. »
Les spectateurs ont l’impression de revenir à l’essence même du football, d’être plus proches des joueurs : « Jusqu’en National, certains joueurs venaient en tramway, d’autres n’avaient pas le permis ou alors de petites voitures. Les gars étaient juste contents d’être là et d’avoir un public. Ils n’étaient pas formatés par le monde pro. »
Deux joueurs de l’effectif actuel étaient de cette époque joyeuse : Dimitri Liénard et Jérémy Grimm. Le premier, de Belfort, a travaillé à l’usine avant de devenir professionnel avec Strasbourg. Le deuxième, originaire du Haut-Rhin, a été formé au club avant de passer par Colmar et de revenir en 2013. « Tu n’as pas la même approche avec ces joueurs qu’avec un gamin de dix-huit ans qui sort d’un centre de formation et qui signe avec un salaire à cinq chiffres… »
- Premier transfert depuis cinq ans
500 000 euros pour l’Orléanais Jean-Eudes Aholu, le 16 janvier 2017 : voilà le premier transfert réalisé par Strasbourg depuis la liquidation de 2011. Un événement marquant pour les supporteurs, mais Grégory Walter en vient presque à regretter les années d’amateurisme : « Les mauvais côtés du foot pro n’existaient plus. Il n’y avait plus d’argent, donc, plus de surenchères permanentes, d’agents et de mercato. Ça fait bizarre, ce premier transfert… »
Faute de ressources financières, le club a appris à s’appuyer sur son public : « Les supporteurs sont au centre du projet, grâce à la billetterie. On a des rapports sincères avec nos dirigeants, mais il ne faut pas se leurrer: on représente une part importante des recettes. On s’identifie beaucoup plus à son club. Cela crée un environnement sain et plaisant. »
La dynamique fonctionne, puisque à l’image de ce qu’ont connu en Ecosse les Glasgow Rangers à une autre échelle, les affluences ont été exceptionnelles pour des matches de championnat de France amateur ou de National. « On a fait 15 000 en CFA 2, 20 000 contre Mulhouse en CFA, 26 000 face à Colmar en National et on a dépassé plusieurs fois les 25 000 pour les rencontres décisives. »
- L’inquiétude : pour les supporteurs, « la Ligue 1, c’est l’enfer »
La montée est, bien entendu, attendue et souhaitée, mais elle n’est pas sans susciter quelques inquiétudes pour Grégory Walter. « On demande à la direction de continuer sur la route actuelle. On veut continuer à être un club différent. On ne veut pas d’un club qui préfèrerait gagner plus d’argent dans un stade à moitié vide que moins dans un stade plein. Ce n’est pas le foot, il faut continuer à construire un club où le public a toute sa place. »
La première revendication est donc d’ordre social : garantir des tarifs abordables pour tous. Un enjeu majeur, à l’heure où le public est davantage considéré comme un client que comme un supporteur. « On se bat contre la sélection par l’argent. Il faut conserver des prix populaires, au moins dans certaines parties du stade. »
« La Ligue 1, c’est l’enfer », estiment les supporteurs les plus investis, ceux qui font partie du mouvement des ultras. « Le week-end dernier, en Ligue 1, sur dix déplacements, sept ont fait l’objet de restrictions ou d’interdictions pour les supporteurs, constate Gregory Walter. On attend de nos dirigeants qu’ils contestent ce système qui nuit au foot. On est clairement inquiets. Je ne suis pas sûr de prendre autant de plaisir en Ligue 1 que lors de ces dernières années. »
Un récent message du club à ses supporteurs de Monaco résume pour Grégory Walter ce qu’il faut absolument éviter : « Monaco a mis la pression pour empêcher ses supporteurs d’envahir le terrain en cas de titre. C’est d’une tristesse infinie… Vendredi soir, en cas de montée, notre envahissement est prévu, mais parce que notre direction est prête à payer l’amende… » Bref, une autre vision du football.