« la France va mieux et elle est désormais sur une bonne pente. Du coup, l’idée que “l’aide” de l’Allemagne serait nécessaire au succès du nouveau Président est non seulement un brin condescendante mais sans doute très éloignée de la disposition d’esprit qui est la sienne ». (Photo : Angela Merkel et Emmanuel Macron, lors de la conférence de presse donnée à Berlin, le lundi 15 mai). | Michael Kappeler / AP

TRIBUNE. « Un ami qui pourrait bien nous coûter cher » : ainsi peut-on résumer la réaction d’une partie importante de la classe politique et médiatique allemande à l’élection d’Emmanuel Macron. Car, derrière le soulagement de Berlin devant la défaite claire et nette de Marine Le Pen, pointe déjà l’inquiétude vis-à-vis de la volonté du nouveau président français de « refonder l’Europe » et, surtout, de faire évoluer la zone Euro vers cette « union de transferts » qui demeure outre-Rhin un repoussoir absolu. Face à cela, celles et ceux qui, à Berlin, souhaitent engager le dialogue avec le nouveau locataire de l’Elysée sur une base constructive répondent : « il faut aider Macron. »

Quelle que soit la sincérité indubitable de ce souhait affiché de contribuer à la réussite du successeur de François Hollande, cette manière de présenter les choses augure mal d’une relance de la relation franco-allemande sur des bases saines. D’abord, parce qu’elle s’inscrit dans une lecture erronée de la victoire de Macron.

Si le succès du 7 mai a été aussi ample, c’est sans doute, au moins en partie, parce que l’état du pays ne correspond pas, tant s’en faut, à la noirceur avec laquelle il a été volontiers dépeint ces derniers mois, y compris en Allemagne, où la crainte exagérée d’une possible chute du « troisième domino » (après le « Brexit » et l’élection de Donald Trump) aura conduit les observateurs à attribuer aux mêmes effets anticipés les mêmes causes supposées.

Evolutions de longue durée

Sans nier les défis économiques, politiques et sociétaux auxquels le pays fait face depuis une dizaine d’années – ni les insuffisances des réponses apportées sous les deux précédents quinquennats –, la France va mieux et elle est désormais sur une bonne pente.

si « décrochage » franco-allemand il y a eu depuis 2009, ce n’est pas vraiment le cas à l’aune des vingt-cinq ou trente dernières années

Du coup, l’idée que « l’aide » de l’Allemagne serait nécessaire au succès du nouveau Président est non seulement un brin condescendante mais sans doute très éloignée de la disposition d’esprit qui est la sienne. Non seulement ce dernier est-il probablement persuadé de sa capacité à redresser le pays par ses propres moyens et confiant dans la vertu « transformatrice » de sa propre élection, mais on peut supposer que son analyse le conduit à estimer que la France, pour peu que les réformes nécessaires soient menées à bien, peut réussir durablement dans une zone Euro dont les critères de stabilité seraient inchangés.

Une analyse que confirment les évolutions de longue durée : si « décrochage » franco-allemand il y a eu depuis 2009, ce n’est pas vraiment le cas à l’aune des vingt-cinq ou trente dernières années, le ratio économique entre les deux pays (mesuré en termes de PIB comparés) étant resté grosso modo équivalent depuis la réunification allemande.

Question de vie ou de mort

Emmanuel Macron, en revanche, est sans doute, et à juste titre, convaincu qu’il n’en va pas de même pour une bonne partie des pays de l’eurozone — à commencer par la « périphérie » méditerranéenne — qui ne pourront durablement encaisser les divergences économiques qui ne font que s’accentuer en sa défaveur du fait de l’existence même de l’euro et du marché unique, sans que des correctifs efficaces soient mis en place.

Des correctifs qui devront aller au-delà des réformes structurelles nécessaires et qui passent sans doute par une forme de « transferts » financiers, fussent-ils tabous en Allemagne. Autrement dit, c’est non pas pour obtenir une « aide » pour la France que Macron se tourne vers Berlin, mais parce qu’il est convaincu qu’une « refondation » de l’Europe et en particulier de l’eurozone est, à moyen ou long terme, une question de vie ou de mort pour l’Union européenne.

On ne peut guère être surpris par la manière dont le débat s’engage en Allemagne. Elle s’inscrit dans une conception de politique économique mais aussi dans une gestion de l’opinion publique qui prévalent depuis bien des années outre-Rhin. Au lendemain de la victoire d’Emmanuel Macron qui est pour la relation franco-allemande le meilleur résultat possible de l’élection présidentielle française, le Berlin politique doit comprendre qu’il ne s’agit pas d’aider la France, mais de sauver l’Europe.

Frédéric Bozo est professeur à Sorbonne Nouvelle Paris III et Senior Fellow de la Transatlantic Academy ; Martin Koopmann est le directeur exécutif de la Fondation Genshagen qui œuvre à la coopération européenne dans ses aspects politiques et culturels.