La semaine qui a fragilisé Donald Trump
La semaine qui a fragilisé Donald Trump
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Une série de cafouillages dans la gestion de l’« affaire russe » et de ses nombreux méandres a grandement affaibli la crédibilité de la Maison Blanche.
Le couple présidentiel américain monte à bord de l’Air Force One, le 19 mai. | EVAN VUCCI / AP
Les révélations se sont succédé sans interruption à Washington du lundi 15 au vendredi 19 mai, dans le dossier d’éventuelles collusions entre l’équipe de campagne de Donald Trump pendant la présidentielle et les responsables des piratages informatique imputés à la Russie. Ces derniers avaient visé des membres du Parti démocrate avant l’élection du 8 novembre 2016. Ces investigations étaient supervisées par l’ex-directeur du FBI, James Comey, jusqu’à son limogeage, le 9 mai.
Le Washington Post et le New York Times ont publié de nouvelles informations, vendredi, au moment même où l’Air Force One de Donald Trump décollait de la base militaire d’Andrews, dans le Maryland, pour un voyage de huit jours au Moyen Orient et en Europe, le premier déplacement à l’étranger du président.
Ce dernier se retrouve sur la défensive comme jamais par le passé, au terme d’une semaine éprouvante marquée par une série d’inflexions.
- Nomination d’un procureur spécial
Lundi 15 mai, le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, se voulait encore catégorique. « Franchement », avait-il assuré lors de son briefing quotidien, « il n’y a pas besoin d’un procureur spécial » pour superviser l’enquête en cours sur les interférences russes lors de la dernière campagne présidentielle américaine. « Nous l’avons déjà dit, deux commissions du Sénat y travaillent, le FBI procède à ses propres investigations, et le directeur par intérim [Andrew] McCabe a clairement indiqué avoir les ressources nécessaires et que le travail se poursuit », avait-il ajouté.
Mais deux jours plus tard, face à une avalanche de révélations, l’attorney general adjoint, Rod Rosenstein, a décidé de confier cette mission à Robert Mueller, un ancien directeur du FBI très apprécié par les démocrates comme par les républicains.
La nomination d’un procureur spécial rappelle des précédents embarrassants : Kenneth Starr pour Bill Clinton, dans les années 1990 (l’affaire Monica Levinsky), et surtout Archibald Cox pour Richard Nixon, vingt ans plus tôt (l’affaire du Watergate).
Le supérieur de M. Rosenstein, le ministre de la justice Jeff Sessions, s’est récusé dans cette affaire pour avoir omis de révéler au Sénat des contacts avec des responsables russes dans les mois qui ont précédé sa nomination au département de la justice. En saluant cette nomination, les responsables républicains ont pris pour la première fois leurs distances par rapport à Donald Trump.
- Soupçon d’obstruction à la justice
Le New York Times a rendu compte, mardi 16 mai, d’une note rédigée par le directeur du FBI évincé par M. Trump une semaine plus tôt dans laquelle le patron de la police fédérale relate le contenu d’un échange entre les deux hommes.
Selon ce compte rendu, le président a suggéré à James Comey de ne pas s’acharner sur son premier conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, contraint à la démission pour avoir menti au vice-président, Mike Pence. « J’espère que vous pourrez juger bon de laisser passer ça, de laisser Flynn. C’est un bon gars. C’est quelqu’un de bien. J’espère que vous pourrez laisser tomber », aurait déclaré M. Trump, selon la note. Ce dernier aurait éludé. « Je suis d’accord, c’est un gars bien », se serait contenté d’assurer le directeur du FBI.
La Maison Blanche a nié en bloc ces affirmations, en assurant que le contenu de la note ne correspondait pas à une « description juste ou honnête de la conversation entre le président et M. Comey ». La note est d’autant plus embarrassante pour le président que sa démarche peut être assimilée à une manœuvre d’obstruction.
Le New York Times a renchéri, le 18 mai, en publiant une enquête faisant état du malaise de M. Comey face aux sollicitations répétées de M. Trump pour savoir s’il était concerné par l’enquête en cours. Le 9 mai, dans la lettre annonçant son limogeage au directeur, le président l’avait remercié pour lui avoir indiqué « à trois reprises » qu’il n’était pas en cause. Toujours le 18 mai, au cours d’une conférence de presse, M. Trump a nié par deux fois être intervenu au bénéfice de son ancien conseiller. L’ancien directeur du FBI a accepté vendredi de témoigner prochainement au Sénat, sans doute au début du mois de juin.
- Le dossier Michael Flynn s’alourdit
Le 16 mai, le New York Times a assuré que l’ancien général Michael Flynn avait alerté la Maison Blanche, le 4 janvier, sur le fait qu’il faisait l’objet d’une enquête pour n’avoir pas déclaré des sommes d’argent reçues pour une mission de lobbying au profit de la Turquie.
Cet avertissement n’avait pas empêché sa confirmation au poste de conseiller à la sécurité nationale en dépit d’évidents risques de conflits d’intérêts, compte tenu notamment des divergences qui existent entre Washington et Ankara à propos de la Syrie.
M. Flynn a été contraint de démissionner de ses fonctions le 13 février après avoir menti sur le contenu d’une discussion au téléphone avec l’ambassadeur russe à Washington, Sergeï Kislyak, en décembre 2016.
M. Flynn avait assuré ne pas avoir évoqué les sanctions décidées contre Moscou par le président Barack Obama, quatre semaines avant son départ du pouvoir, en représailles aux interférences reprochées à la Russie pendant la campagne. Une transcription de cette conversation, qui avait fait l’objet d’une écoute téléphonique, prouvait le contraire. Après avoir appris par le département de la justice, fin janvier, que M. Flynn avait menti, M. Trump avait attendu plus de deux semaines avant de le remercier.
- L’enquête se rapproche de la Maison Blanche
Le Washington Post a affirmé, vendredi 19 mai, que les enquêteurs du FBI s’intéressent désormais à un proche conseiller de la Maison Blanche, sans révéler son identité, qu’ils considèrent comme un témoin potentiellement de premier plan.
Le 20 mars, après la confirmation par M. Comey, auditionné au Sénat, qu’une enquête était bien en cours à propos d’éventuelles collusions entre la campagne de M. Trump et les responsables des piratages informatiques, Sean Spicer avait pris soin de mettre la Maison Blanche à distance des noms qui reviennent régulièrement comme de possibles intermédiaires : Paul Manafort, ancien conseiller de l’ex-président pro-russe ukrainien Viktor Ianoukovitch, ou bien Roger Stone, un compagnon de route du président qui avait donné l’impression de connaître à l’avance le début de la publication des documents piratés.
Le porte-parole avait assuré que M. Manafort avait « joué un rôle très limité pendant un temps très limité », alors qu’il avait dirigé la campagne de juin à août 2016, y compris pendant la convention républicaine de Cleveland (Ohio), fin juillet.
De même, le porte-parole avait affirmé que M. Stone n’avait travaillé que « brièvement » pour la campagne et que sa collaboration avait cessé « en août », avant les publications. M. Trump a assuré, jeudi, n’être lié d’aucune manière avec les responsables des piratages informatiques en précisant cependant qu’il ne pouvait parler que pour lui-même.
Plus tôt dans la journée de jeudi, l’agence de presse Reuters a publié une comptabilité faisant état de dix-huit échanges, téléphoniques ou de courriers électroniques, entre les proches de M. Trump et des officiels russes ou des personnalités liées aux autorités durant les sept derniers mois précédant l’élection. Ce nombre est considéré comme élevé même s’il est de coutume que les équipes des principaux candidats à la présidentielle prennent des contacts avec des autorités étrangères avant l’élection.
- Donald Trump se pose en victime
Face au déferlement d’informations, le président a tenté de se présenter comme la victime de l’acharnement des médias. Mercredi, à l’occasion d’un déplacement dans une école de gardes-côtes, il a assuré qu’« aucun homme politique dans l’histoire, et je dis cela avec beaucoup d’assurance, n’a été traité plus injustement ».
Le lendemain, tout d’abord sur Twitter puis lors d’une conférence de presse, il a réagi à la nomination du procureur spécial, en assurant que « toute cette histoire est une chasse aux sorcières ». « Je pense que cela divise le pays », a-t-il déploré. Les critiques du président ont aussitôt noté que la formule de la « chasse aux sorcières » avait été également prononcée par le président Richard Nixon lors du scandale du Watergate.
Après la publication d’une information du New York Times, vendredi, selon laquelle M. Trump se serait vanté, le 10 mai, devant une délégation russe d’avoir limogé M. Comey, présenté comme « complètement cinglé », le porte-parole du président a assuré, sans démentir les propos prêtés à M. Trump, que le directeur du FBI « en cherchant à attirer l’attention et en politisant l’enquête sur les actes de la Russie », avait « créé une pression inutile sur notre capacité à discuter et négocier avec la Russie ».
- La Maison Blanche peine à élaborer une riposte
Le 16 mai, le président Trump a placé une nouvelle fois son équipe dans une situation impossible en revendiquant la légitimité d’un partage d’informations classifiées avec la délégation russe reçue dans son bureau le 10 mai.
La veille, son conseiller à la sécurité nationale, H.R. McMaster et l’une de ses adjointes, Dina Powell, avaient catégoriquement démenti l’article du Washington Post qui avait le premier révélé ce partage controversé puisque, selon la presse américaine, ces dernières avaient été transmises aux Etats-Unis par Israël.
Une semaine plus tôt, le 11 mai, M, Trump avait déjà contredit ses conseillers qui avaient assuré que le limogeage de M. Comey avait été recommandé par le département de la justice sur la foi d’une note rédigée par Rod Rosenstein le jour même du limogeage, deux jours plus tôt. Le président avait assuré avoir pris sa décision avant d’avoir reçu la note, ce qu’a confirmé M. Rosenstein lors d’une audition au Sénat, le 18 mai.
- James Comey va témoigner devant le Sénat
L’enquête pourrait s’éclaircir, puisque l’ex-directeur du FBI James Comey a accepté d’être entendu lors d’une audition publique au Sénat américain en juin, ont annoncé vendredi les chefs républicain et démocrate de la commission du renseignement.
« J’espère que le témoignage de l’ancien directeur Comey permettra de répondre à certaines des questions soulevées depuis qu’il a été soudainement renvoyé par le président » américain, a déclaré le sénateur démocrate Mark Warner, cité dans un communiqué commun avec le chef républicain de cette commission, Richard Burr. « Le directeur Comey a servi son pays honorablement pendant de nombreuses années et il mérite de pouvoir raconter sa version de l’histoire. De plus, les Américains méritent de l’entendre. »
Depuis son renvoi, l’ex-chef du FBI est resté silencieux. Potentiellement explosive, son audition publique aura lieu après le dernier week-end de mai, ont-ils précisé dans le communiqué, publié quelques heures après le départ de Donald Trump pour son premier voyage à l’étranger.
- L’embauche d’un avocat de renom évoquée
Après ces cafouillages qui ont affaibli la crédibilité de la Maison Blanche, l’embauche d’un avocat de renom pour décharger les conseillers du président de la gestion de l’affaire russe et de ses nombreux méandres est désormais évoquée.
Le président Bill Clinton avait fait ce choix, confronté à un scandale immobilier remontant à son mandat de gouverneur de l’Arkansas, au début de son premier mandat. Un remaniement de la Maison Blanche, régulièrement évoqué, serait également toujours envisagé.