TV : « Terrorisme, raison d’Etat », le désastre d’une guerre contre la terreur
TV : « Terrorisme, raison d’Etat », le désastre d’une guerre contre la terreur
Par Christophe Ayad
Notre choix du soir. Ilan Ziv analyse les erreurs commises par l’administration Bush après le 11-septembre (sur Arte à 20 h 50).
Terrorisme, raison d'Etat (1/2) - bande-annonce - ARTE
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Camus avait raison, lui qui, dans Les Justes, s’était déjà penché sur la question du terrorisme. Depuis le début du XXIe siècle, le terrorisme est devenu le nouveau synonyme du mal absolu. Mais ce qui était un procédé s’est transformé en une idéologie, en l’occurrence le djihadisme. Confondre le procédé et la cause, confondre l’instrument et son but : telle est la première erreur qu’ont commise la société et les dirigeants américains au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. De nombreuses autres devaient suivre. La preuve ? Al-Qaida, qui ne comptait que 400 membres à la veille des attaques de New York et de Washington, est aujourd’hui forte de plusieurs dizaines de milliers de membres, de millions de supporteurs et de sympathisants, pour ne s’en tenir qu’à l’organisation fondée par Oussama Ben Laden.
Cette croissance exponentielle de la menace djihadiste est la conséquence immédiate, directe, des erreurs de ceux qui ont voulu la combattre. Mal nommer, mal comprendre, mal réagir. S’il ne fallait voir qu’un seul documentaire sur la guerre sans fin inaugurée par les attentats du 11-Septembre, c’est celui d’Ilan Ziv. En deux parties, et en près de deux heures, Terrorisme, raison d’Etat – le titre allemand, 11-Septembre, le monde d’après, est bien meilleur – fait le tour du problème. Il démonte le piège infernal tendu par Oussama Ben Laden aux Etats-Unis au moment du 11-Septembre. Tous les acteurs concernés défilent, à l’exception des chefs d’Etat, mais leurs conseillers, les têtes pensantes, témoignent longuement devant la caméra d’Ilan Ziv.
Prophétie autoréalisatrice
Dans la première partie, le patron du MI6 britannique résume le mieux l’erreur commise par les dirigeants américains dans l’immédiat après-11-Septembre : aveuglés par le besoin de vengeance, pressés de montrer qu’ils ne restent pas impuissants, ils engagent leur armée en Afghanistan. « On ne prend plus de gants », déclare, martial, Cofer Black, le chef du contre-terrorisme à la CIA. « Ne craignez-vous pas, lui répond Richard Dearlove, le patron du MI6 britannique, qu’en frappant une flaque de mercure avec un marteau il n’éclate en mille morceaux ? »
Cette première erreur, l’occupation plutôt que l’invasion de l’Afghanistan, dure jusqu’à ce jour. Elle a entraîné l’armée américaine, et même toute l’Alliance atlantique (OTAN), dans un changement de régime pour remplacer les talibans qui a impliqué ensuite une phase de « nation building » (« construction d’Etat ») pour laquelle les militaires ne sont pas préparés. Les Etats-Unis ont appliqué une grille de lecture du passé, assimilant le djihadisme au nazisme et au communisme et ayant une confiance trop aveugle dans la mission libératrice de leur armée. L’Afghanistan et l’Irak des années 2000 ne sont pas le Japon et l’Allemagne de 1945…
Une fois statiques et éparpillés dans tout le pays, les soldats occidentaux sont évidemment devenus la cible d’une insurrection, qui ne se combat qu’au prix de nombreuses bavures aux effets désastreux. Derrière le modus operandi (terroriste), les Etats-Unis n’ont pas su combattre le message (djihadiste) ; au contraire, ils lui ont donné de l’audience et de la vigueur. On ne combat, en effet, pas des idées avec des armes, du moins pas seulement.
Après les attentats du 11 septembre 2001 à New York | © Zadig Productions
L’erreur afghane a été suivie d’une deuxième, plus grave : celle qui a consisté à renoncer à l’Etat de droit, pourtant au fondement des démocraties occidentales. Le traitement juridique des terroristes djihadistes, des civils combattants, a fait voler en éclats le droit humanitaire international, élaboré à la faveur des conflits de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. Si l’on est « en guerre » contre le terrorisme, comme l’ont déclaré George W. Bush et, plus récemment, François Hollande, pourquoi ne pas appliquer le droit de la guerre à nos ennemis ? Parce qu’ils ne le respectent pas eux-mêmes, plaident, aux Etats-Unis, les promoteurs de l’arsenal juridique qui a conduit à Guantanamo et à la torture, notamment le waterboarding (simulation de noyade). Mais le fait de renoncer à ses propres valeurs, dans un conflit qui met en jeu avant tout de l’idéologie, est un terrible aveu de faiblesse. Il a contribué, comme aucun autre, à éroder de l’intérieur les démocraties occidentales.
La troisième erreur est criminelle : l’invasion de l’Irak, fondée sur de fausses accusations et des preuves fabriquées quant aux armes de destructions massive du régime de Saddam Hussein et ses liens présumés avec Al-Qaida. La prophétie autoréalisatrice a fonctionné : l’Irak est devenu le royaume du djihadisme, alors qu’il ne comptait qu’un maquis embryonnaire en 2003. Les remords du directeur de cabinet de Colin Powell, l’ex-secrétaire d’Etat américain qui a prononcé l’acte d’accusation américain à l’ONU en 2003, sont poignants. L’aveu final du général américain David Petraeus, lui, est glaçant : « Nous devons envisager la perspective d’une guerre perpétuelle. »
Terrorisme, raison d’Etat, d’Ilan Ziv (Fr., 2017, 2 x 55 min).