Lee Ching-yu, l’épouse du militant taïwanais Lee Ming-che, devant un portrait de son mari lors d’une conférence de presse à Taipei, le 4 avril 2017. | SAM YEH / AFP

L’arrestation formelle, annoncée vendredi 26 mai par la Chine, du militant taïwanais Lee Ming-che pour des activités visant à « subvertir le pouvoir de l’Etat » marque une nouvelle étape dans la brouille entre Taipei et Pékin. C’est la première fois qu’un Taïwanais est soupçonné en Chine d’un délit en principe réservé aux dissidents chinois. La Chine continentale nie à Taïwan tout statut étatique, et ses relations avec l’île sont gérées à travers toute une série d’accords censés remédier au statu quo actuel, dans l’attente de la « réunification » cherchée par Pékin.

Educateur et militant bénévole de l’association taïwanaise Covenants Watch, Lee Ming-che, qui vit à Taïwan, a « disparu » le 19 mars alors qu’il venait d’arriver à Zhuhai, la ville frontalière avec Macao. La Chine a ensuite fait savoir dix jours plus tard qu’il était soupçonné d’« activités mettant en danger la sécurité de l’Etat », pour ne plus rien dire avant la clarification officielle de vendredi. Selon l’agence chinoise Xinhua, Lee Ming-che s’est « régulièrement rendu en Chine depuis 2012 » et aurait « comploté avec des citoyens du continent », « lancé des actions » et « créé des organisations illégales ». Lui et ses « complices » auraient « avoué leurs agissements au terme d’interrogatoires ».

Remous à Taïwan

La détention de M. Lee est intervenue « en violation des lois internationales qui exigent qu’une personne en détention ait accès à un avocat de son choix et puisse entrer en contact avec sa famille, mais aussi de l’accord d’assistance judiciaire mutuelle entre Taïwan et la Chine », note Patrick Poon, d’Amnesty International à Hongkong. Cet accord exige une notification de chacune des parties dans les vingt-quatre heures de l’arrestation d’un Taïwanais en Chine ou d’un Chinois à Taïwan. « Lee Ming-che est détenu incommunicado [sans contact extérieur], on ne sait pas où, il n’a pas d’avocat, c’est le genre de traitement que subissent les avocats chinois, et cela peut mener à des procédures d’un ou deux ans », poursuit M. Poon, faisant référence à la vague d’arrestations et de condamnations d’avocats chinois des droits de l’homme depuis 2015.

A Taïwan, le cas de Lee Ming-che soulève l’indignation, tout en suscitant des remous politiques. L’affaire a « renforcé la répulsion des Taïwanais à l’encontre de Pékin à cause de son mépris des droits de l’homme », rappelle un éditorial du Taipei Times du 30 mai. Le gouvernement communiste cherche à sanctionner Taïwan depuis la victoire à la présidence de Tsai Ing-wen et de son parti « indépendantiste », le Parti démocrate progressiste (DPP), au Parlement.

Arrestation mystérieuse

Pékin reproche à Mme Tsai son refus de reconnaître le « consensus de 1992 » entre les deux rives du détroit de Formose sur « l’existence d’une seule Chine, chacune avec sa propre interprétation » – un consensus sans fondement démocratique pour le DPP, et qui n’engageait que l’ex-parti au pouvoir, le Kouomintang (KMT). Pékin a ainsi bloqué cette année la participation de Taïwan à l’Assemblée annuelle de l’OMS comme « observateur », pourtant régulière depuis 2009.

Les raisons de l’arrestation de M. Lee restent mystérieuses. Le militant taïwanais n’était mandaté par aucune ONG, mais s’efforçait, selon ses proches, de faire connaître l’expérience de démocratisation de Taïwan en Chine à ses amis chinois sur les réseaux sociaux. Ou encore encourageait ses amis dans des ONG à Taïwan à aider les familles de militants chinois arrêtés – des activités que les ONG taïwanaises estiment relever de la liberté d’expression.

Son cas confirme la vigilance accrue du régime chinois vis-à-vis des ONG étrangères ou assimilées : l’animateur suédois d’une ONG d’assistance aux avocats chinois opérant en Chine et en partie financée par l’Union européenne, Peter Dahlin, avait été détenu au secret puis expulsé de Chine en janvier 2016, après des « confessions télévisées » de ses supposés crimes, marquant une escalade inédite.

Mauvais signal

« La nouvelle loi encadrant les ONG étrangères en Chine est entrée en vigueur cette année, explique au Monde, de Taipei, Eeling Chiu, directrice de la Taïwan Association For Human Rights, la plus ancienne des ONG taïwanaises de protection des droits de l’homme. Il est vrai que ces dernières années, les ONG taïwanaises ont de plus en plus d’interactions et d’échanges avec des associations ou des universités en Chine, tout cela est normal et positif dans le cadre des échanges entre les deux sociétés civiles. Cette arrestation n’envoie certainement pas un bon signal. »

Pékin a-t-il voulu disposer d’un levier supplémentaire dans son bras de fer avec Taïpei ? L’affaire Lee Ming-che a provoqué des remous à Taïwan, où le souci de discrétion du gouvernement a prêté le flanc à des critiques. L’épouse du militant, Lee Ching-yu, n’a cessé de rameuter l’opinion publique sur le sort de Lee Ming-che. Elle a tenté, en vain, de se rendre en Chine après la disparition de son mari, mais Pékin lui interdit l’entrée de son territoire. Puis elle a révélé au grand jour les conditions, qu’elle jugeait inacceptables, posées par un intermédiaire de l’ombre mandaté par Pékin – et appartenant comme par hasard au KMT, le parti d’opposition qui a les faveurs du régime communiste. En mai, Mme Lee s’est ensuite rendue à Washington pour témoigner devant le Congrès américain et rencontrer un conseiller Asie du gouvernement Trump.

« Le gouvernement taïwanais devrait faire plus, notamment en aidant Lee Ching-yu dans son effort de sensibilisation de la communauté internationale, estime Eeling Chiu. Nous pensons que Lee Ming-che ne sera pas le dernier, qu’il y aura d’autres cas comme lui. C’est au gouvernement taïwanais de trouver une manière de résoudre ce cas de manière officielle et respectueuse des lois. »