« Suntan » : sur une île grecque, une spirale masochiste dans l’insouciance de l’été
« Suntan » : sur une île grecque, une spirale masochiste dans l’insouciance de l’été
Par Jean-François Rauger
Avec l’histoire d’amour malheureuse d’un médecin obsédé par une touriste, le film dépeint des relations humaines fondées sur un principe purement économique.
Kostis, la quarantaine, médecin solitaire et introverti, s’installe à la demande de la municipalité dans la petite île grecque d’Antiparos. Après la calme torpeur et le gris ennui de l’hiver, celle-ci se transforme, tous les étés, en lieu de villégiature bruyant et survolté.
A grand renfort de fêtes arrosées et de boîtes de nuit, de baignades naturistes dans des endroits surpeuplés, une sorte de fureur hédoniste et insouciante s’empare du lieu. Kostis fait la connaissance, à la faveur d’une consultation médicale pour un accident bénin, d’un groupe de jeunes vacanciers insouciants et délurés.
Il se met à les rejoindre régulièrement, une fois son travail fini, sur quelque plage ou dans une boîte de nuit locale. Il y a parmi la petite bande une jeune femme, Anna, à laquelle s’attache le médecin.
Après une relation sexuelle furtive précocement conclue sur une plage déserte, l’intérêt de Kostis pour la jeune femme devient obsessionnel, inversement proportionnel à l’indifférence que celle-ci semble éprouver pour lui.
Troisième long-métrage de son réalisateur, Suntan est construit sur l’opposition, la superposition et la collision de principes contradictoires. La rencontre de l’hiver et de l’été, celle de la jeunesse et de la maturité, de la frustration et de l’effervescence sexuelle provoquent une sorte de précipité chimique qui constitue la matière même du récit.
Dérive alcoolisée et négligence
Si l’on examine avec une certaine distance le film d’Argyris Papadimitropoulos, on peut voir en action, dans cette triviale histoire d’amour malheureux et un peu minable, toute une vision très contemporaine, un peu théorique et peut-être légèrement caricaturale, des relations entre les sexes, fonctionnant selon un principe purement économique : entre rareté et profusion, c’est-à-dire frustration et dépense, offre et demande.
Le réalisateur avoue d’ailleurs son intérêt pour les romans de Michel Houellebecq, pour la vision des relations humaines et des rapports entre les hommes et les femmes qui s’y exprime. Ce qui rend le film plus précis et plus intense, outre sa capacité à saisir avec authenticité l’ambiance particulière de l’agitation et du veule relâchement vacanciers, ne réside pas seulement dans la façon dont son argument se voudrait le symptôme d’un constat anthropologique désabusé.
Il s’incarne dans la dimension humaine d’une descente aux enfers psychique et sexuelle. Kostis se met à harceler la jeune femme, spéculant stupidement sur les lendemains d’un coït pourtant bâclé et assurément sans conséquence véritable. La jeune touriste devient une idée fixe qui le détourne progressivement de son devoir de médecin local.
Dérive alcoolisée à la recherche de l’être aimé, négligence professionnelle, licenciement déshonorant, l’homme s’inflige un chemin de croix à la fois douloureux et burlesque. Kostis va s’aliéner l’objet de son désir avec une risible et pathétique obstination à chaque tentative destinée à le récupérer.
Suntan est ainsi le récit d’une mini-déchéance tout autant que la peinture grinçante et précise d’une spirale masochiste dans laquelle se laisse glisser le principal protagoniste. Le plaisir paradoxal pris au film est justement celui d’une joie mauvaise, entretenue par le sentiment d’assister aux malheurs d’un protagoniste pathétique et lourdaud. Le masochisme du personnage n’appelle-t-il pas le sadisme du spectateur ?
SUNTAN de Argyris Papamiditropoulos en salles mars 2017
Film grec d’Argyris Papadimitropoulos avec Makis Papadimitriou, Elli Tringou, Dimi Hart (1 h 44). Sur le Web : ascdistribution.com/project/suntan