« Le Cirque Plume a osé la poésie »
« Le Cirque Plume a osé la poésie »
Propos recueillis par Rosita Boisseau
Bernard Kudlak revient sur la décision du collectif qu’il a cofondé en 1984 de faire de « La Dernière Saison », au programme du festival lyonnais, son ultime création.
Depuis 1984, le Cirque Plume plante sa toile magique partout en France pour enchanter des générations de spectateurs. Ce collectif, qui se lança en autodidacte, porté par la foi dans un art populaire, a revitalisé le cirque, et su conserver les fondamentaux de la piste. Avec La Dernière Saison, créée le 19 mai dans sa ville de Besançon, la troupe envoie un message ultime de bonheur.
Bernard Kudlak, cofondateur du Cirque Plume, en 2017. | Yves Petit
Pour quelles raisons avez-vous décidé de mettre fin à l’aventure du Cirque Plume en annonçant votre dernier spectacle ?
Cette création est le début d’une aventure, pas la fin. Avec un gros bateau comme la compagnie, il faut s’y prendre longtemps à l’avance pour conclure une traversée. La tournée va durer au moins quatre ans et habituellement, pendant cette période, nous relançons un nouveau budget pour une autre production, ce que nous ne ferons pas. J’aurai 66 ans en 2020. Est-ce que je désire repartir sur un autre spectacle jusqu’à 70 ans ? Place aux jeunes. Nous avons fait le boulot et avons eu la chance de vivre quelque chose d’exceptionnel. Tout ce que le Cirque Plume a entrepris s’est passé au mieux de ce que je souhaitais. Avec les aléas de la vie.
Le collectif que vous composiez avec Hervé Canaud, Michèle Faivre, Vincent Filliozat, Jean-Marie Jacquet, Pierre Kudlak, Jacques Marquès, Robert Miny et Brigitte Sepaser est à l’origine du Cirque Plume. Comment avez-vous réussi à conserver cet esprit communautaire pendant vingt-cinq ans ?
Nous y sommes tous encore, sauf ceux qui ont disparu. Nous représentions depuis le début les différents corps de métier – musiciens, techniciens, artistes – et nous avons appris à travailler ensemble. Et aussi, pendant toutes ces années, à nous parler, à vivre ensemble et à nous transformer chacun. Cela ne tombe pas du ciel, c’est une volonté quotidienne et c’est un cadeau de la vie. Même à travers les épreuves, nous n’avons jamais abandonné l’envie de continuer à nous découvrir, à vivre avec, si possible, moins de souffrance et plus de lien. Nous avions rêvé de chemins buissonniers dans les années 1970, comme beaucoup en ont eu envie, et nous avons réalisé nos désirs.
La revendication d’un art populaire ouvert au plus grand nombre était au cœur de votre travail. Pensez-vous avoir réussi ?
Oui, je crois. Nous avons conçu des spectacles populaires sans verser dans le niaiseux ni le commercial. Nous avons bâti des pièces qui ont intéressé des gens. Je rêvais d’un outil qui puisse ouvrir sur une expérience poétique et le cirque me l’a offert. Nous rêvions de faire du cirque et de changer le monde. Nous avons réussi une chose sur deux.
Les sources d’inspiration que vous revendiquiez à vos débuts étaient le Bread and Puppet Theatre, le Living Theatre, Chagall, Baudelaire et Prévert. Le cirque traditionnel est au cœur de vos pièces, même si vous avez construit votre savoir-faire en autodidacte. Quelle relation entretenez-vous avec la tradition des arts de la piste ?
Plume a représenté quelque chose du cirque dans son essence et on ne l’a pas trahi. Nous ne venons pas de ce milieu, nous sommes partis de rien et avons d’abord imité le cirque traditionnel en respectant la tradition. Peu à peu, nous l’avons fait évoluer en ouvrant différentes voies.
Nous avons d’abord toujours travaillé sous chapiteau. Nous avons conservé la structure avec des numéros, invité la virtuosité, qui devient de plus en plus grande chez les jeunes artistes, mélangé la haute technicité avec des numéros plus ou moins éculés, cultivant notre réalité pour en faire un atout. Nous ne cherchions pas la perfection, nous avons mis nos forces et aussi nos fragilités sur scène. Parallèlement, comme les familles de cirque à l’ancienne qui avaient un mode de vie marginal, nous avons adopté quelques-uns de leurs principes, l’envie d’être libre, autonome. Nous avons eu cette chance de vivre dans une liberté totale. Chacun a fait ce qu’il voulait dans un cadre précis.
« La Dernière Saison », du Cirque Plume, sera l’ultime création du collectif trentenaire. | Yves Petit
Quels sont, selon vous, les paramètres qui expliquent le succès du Cirque Plume depuis ses débuts ?
Je crois que, dans nos spectacles, l’envie d’être vivant et de jouer au présent est toujours là. Bien sûr, il y a de beaux numéros, mais il y a avant tout des êtres humains avec leurs énergies, qui ont réalisé quelque chose ensemble dans la joie. Nous sommes à l’opposé d’une certaine tendance de la société actuelle qui va vite et fait semblant. Nous n’avons pas de recettes de succès, il n’y en a pas pour rester vivant dans son art. Et puis la poésie… nous avons osé la poésie.
Que représente la transmission pour vous ?
Le nombre de jeunes artistes à qui nous avons donné envie de faire du spectacle et qui nous l’ont dit, ceux avec qui nous avons collaboré prouvent que nous avons transmis ce que nous désirions.
Ce nouvel opus est-il un testament ou un bilan ?
Le fait que ce soit le dernier spectacle n’a pas influencé la fabrication et n’a pas joué sur la forme. L’inspiration littéraire est toujours présente ; avec Robert Harrison, Homère, Michel Pastoureau, Charles Fréger et Robert McLiam Wilson. J’ai aussi choisi un thème qui m’est cher : la nature, les saisons. J’ai travaillé sur les rapprochements entre la forêt et le cirque. La première est un lieu idéal pour les solitaires mais aussi pour les fuyards, les hommes sauvages, le lieu de tous les mythes de la perdition et de la rédemption. Le second lui ressemble : on y trouve des ours, des freaks, la peur et la beauté… Dans les deux, on peut croiser un animal sauvage au détour d’un sentier ou d’un numéro. J’ai tenté de créer cette saveur commune, cette émotion particulière. Récemment, autour de notre campement, à Besançon, un chamois est apparu derrière les caravanes et un grand-duc s’est posé sur un des mâts du chapiteau.
Et aussi, en images : Les trente tours de piste du Cirque Plume
« La Dernière Saison », du Cirque Plume, du 30 juin au 5 août (relâche les dimanches et lundis 17 et 31 juillet), à 20 h 30, au Parc de Parilly. De 28 € à 36 €.
Cet entretien est extrait d’un supplément réalisé en partenariat avec Les Nuits de Fourvière.