L’affaire Silk Road a connu mercredi son dernier rebondissement. Vaste marché noir en ligne permettant, entre autres, d’acquérir des centaines de kilos de drogues, des logiciels destinés à déverrouiller des ordinateurs, voire de recruter des tueurs à gages, le site uniquement accessible par le biais du navigateur Tor et en en connaissant l’adresse, avait été fermé par le FBI en 2013.

Reconnu coupable de sept chefs d’accusation et condamné en 2015 à la prison à vie sans possibilité de libération, Ross William Ulbricht, fondateur et propriétaire de Silk Road, avait alors fait appel de la décision.

Malheureusement pour le « Dread Pirate Roberts », pseudonyme utilisé par M. Ulbricht, la cour d’appel fédérale a confirmé la sentence prise en première instance.

Une enquête remise en question

Pendant leur plaidoirie, les avocats d’Ulbricht ont mis en avant plusieurs aspects de l’enquête qui auraient porté préjudice à leur client. La saisie de son ordinateur personnel et la surveillance de ses comptes Facebook et Gmail ont ainsi été qualifiés d’illégales. Plus inhabituel, l’implication dans l’enquête de deux agents fédéraux condamnés depuis par la justice a donné du grain à moudre à la défense.

Pour les avocats, les deux hommes auraient pu piéger M. Ulbricht. L’agent des services secrets Shaun Bridges, qui a volé des milliers de dollars en bitcoins aux utilisateurs de Silk Road, d’une part, mais aussi l’enquêteur de lAgence de lutte contre la drogue Carl Mark Force, qui a tenté de faire chanter Ulbricht et lui a même vendu des informations confidentielles sur les avancées de l’enquête. Les deux hommes ont eu accès aux serveurs Silk Road et auraient pu s’en servir pour piéger leur client, affirment-ils.

La cour d’appel a néanmoins rejeté tous les arguments produits par M. Ulbricht, en déclarant en premier lieu que les fouilles menées sur son réseau personnel avaient été effectuées après l’obtention d’un mandat, les rendant ainsi légales selon le 4e amendement de la Constitution, qui protège les citoyens américains contre les fouilles illégales.

Concernant les deux officiers mis en cause, les juges ont statué que « la question pertinente ici, et pour laquelle aucun des arguments d’Ulbricht n’apporte de lumière ou ne soulève un doute, est de savoir si un élément de preuve a été entaché d’une manière ou d’une autre par la conduite de [MM.] Bridges ou Force. Rien dans les divulgations du gouvernement ou dans ce qu’Ulbricht a produit ou identifié dans le dossier ne suggère qu’ils en aient eu la capacité. »

Un verdict qui fait débat

S’ils ont confirmé le verdict pris en première instance, les juges ont également critiqué à demi-mot les lois anti-drogue américaines. « Certaines personnes ne sont pas d’accord sur l’utilité de ces peines sévères pour lutter contre la distribution de substances contrôlées, voire du caractère criminel de leur vente et de leur utilisation. Il est possible que dans le futur nous regardions ces politiques comme de tragiques erreurs et que nous adoptions des méthodes moins punitives et plus efficaces pour réduire les conséquences de l’utilisation de drogue. Cependant, à ce moment de notre histoire, des représentants démocratiquement élus par le peuple ont choisi d’opter pour une politique de prohibition et de sanctions lourdes. »

En 2015, la sévérité de la condamnation à perpétuité pour ce qui est considéré comme un crime non violent avait surpris l’accusé. Le juge statuant sur la recevabilité de son appel, Gérald Lynch, avait déclaré que les témoignages des familles des utilisateurs de Silk Road morts d’overdose avaient fait pencher la balance. La cour d’appel n’a finalement pas tenu compte de cet argument, estimant que des juges fédéraux sont parfaitement capables de mettre de côté leur sympathie pour les victimes et d’évaluer les preuves de manière rationnelle au moment de rendre leur verdict.

Ce verdict tient davantage du symbole. Alors que le procureur n’avait pas requis la prison à perpétuité lors du premier procès, la juge Katherine Forrest avait alors expliqué que la sentence d’Ulbricht était aussi un moyen d’envoyer un message aux potentiels autres barons de la drogue en ligne. Une stratégie payante ? Il n’aura pas fallu attendre longtemps après le démantèlement de Silk Road pour voir apparaître sur la toile Silk Road 2, qui est devenu en moins d’un an un des marchés criminels les plus rentables, générant près de 8 millions de dollars (6,4 millions d’euros) de chiffre d’affaires par mois selon la justice américaine, avant d’être fermé à son tour par le FBI en 2014.