Un TGV nommé InOui
Un TGV nommé InOui
Par Clara Georges
La SNCF continue sa révolution lexicale pour redorer son image. Ces adeptes de la novlangue ont-ils déraillé ?
Gare Montparnasse, à Paris | PATRICK KOVARIK / AFP
Je suis dans le TGV – ou plutôt, dans le InOui Annecy-Paris. La SNCF est coutumière de ces espèces de mini-révolutions langagières. Il y a désormais tout un champ sémantique du voyage en train : les IDTGV (appelés à disparaître) répartis en IDZen et IDZap, par exemple. Soit des wagons normaux – les Zen – et d’autres remplis de fous du téléphone et de braillards crachant du yaourt sur leur bavoir – les Zap. Je me suis toujours demandé qui pouvait bien cocher la case IDZap volontairement.
On voit là une certaine constance dans la politique maison de la SNCF, qui cultive la compartimentation depuis longtemps : jadis, le cauchemar ferroviaire, ce n’était pas les gens bruyants mais les fumeurs. Il suffisait de traverser un de ces wagons couleur Gauloises pour être parfumé pendant deux jours, comme ces locaux illégaux qui ont subsisté au journal après la loi Evin, des pièces aveugles de 5 mètres carrés aux murs jaunis qu’une consœur – fumeuse devant l’éternel – avait surnommées « le pavillon des cancéreux ».
« Quelle voiture on est ? »
Au rayon des innovations lexicales, on note aussi les OuiGo (les TGV à bas coût) et les OuiBus. Les twittos s’en donnent évidemment à cœur joie. Mon préféré est le message de @Plusdetrains : « Indiscret - Le patron de la SNCF renommé Guillaume Pépoui ».Les autres dénoncent l’emploi abusif de #novlangue, et c’est vrai qu’il y a quelque chose de dystopique dans cet enthousiasme forcené : oui, oui, ouiiiiii, prenons le train. Mais peut-être vois-je la menace partout parce que je suis en train de lire La Servante écarlate, de Margaret Atwood, où de tels néologismes sont mis au service d’une dictature religieuse nataliste et patriarcale.
« Passer un cap de qualité de service »
Rassurons-nous, il y a de la marge : même si les TGV deviennent InOui, les fondamentaux de notre vie collective demeureront. Il y aura toujours le voyageur qui fait semblant de dormir pour pouvoir garder la place côté fenêtre qu’il s’est arrogée ; celui qui demande « Quelle voiture on est ? », alors que c’est écrit à l’entrée de chacune ; le type qui regarde la dernière saison du Bureau des légendes et nous spoile par écrans interposés ; l’ado comateux qui bave recroquevillé sur deux sièges ; le couple qui déballe son œuf dur.
Pourquoi un nouveau nom ? Pour « passer un cap de qualité de service », explique la compagnie publique, et cela sonne tellement creux que c’est presque plus inquiétant. Il y a déjà des menus « bistro de chef » au wagon-bar, avec la bobine de Michel Sarran – pour avoir goûté, j’espère vivement que le Toulousain aux deux étoiles n’a rien à voir là-dedans. Demain, ce sera luxe à tous les étages, champagne, écrans plasma, et le prix qui va avec, certainement ? C’est sans doute là l’erreur de la SNCF : croire que les Français en ont assez de leur train-train.