Des dizaines de milliers de personnes lors des commémorations du massacre de la place Tiananmen, au parc Victoria de Hongkong, le 4 juin 2017. | Kin Cheung / AP

Ils sont assis à même le sol, ou sur de petits bancs pliables, vêtus pour beaucoup de noir. Ils tiennent à la main une bougie protégée d’un cône en papier distribuée par les organisateurs ou en brandissent l’image numérique sur leur portable. Des dizaines de milliers de Hongkongais se sont rassemblés, dimanche 4 juin au soir, au parc Victoria, sur l’île de Hongkong, pour la veillée de commémoration annuelle du massacre de Tiananmen, il y a vingt-huit ans. De part et d’autre de la scène, où se succéderont les orateurs, d’immenses idéogrammes réclament « Justice pour le 4 juin ! » et « A bas la dictature ! ».

Un écran géant diffuse des images d’archives du massacre, puis le témoignage d’une « mère de Tiananmen », ce groupe de parents qui, en Chine, se battent envers et contre tout pour exiger la vérité sur la mort de leurs proches. Avec ses couronnes funéraires, son monument aux morts et sa minute de silence, le rituel solennel de la veillée du 4 juin est conçu pour rappeler au régime chinois, et au reste du monde, une histoire qui en Chine est passée sous silence. La Région administrative spéciale de Hongkong reste le seul endroit du pays où l’épilogue sanglant du mouvement étudiant de 1989 a encore droit de cité.

« Nous sommes attachés à la démocratie »

La veillée est aussi un baromètre politique pour Hongkong, à moins d’un mois d’un autre anniversaire éminemment symbolique, les 20 ans de la rétrocession à la Chine, le 1er juillet 1997, de l’ancienne colonie britannique. Le principal organisateur de la veillée de Tiananmen, l’Alliance de soutien aux mouvements patriotiques démocratiques en Chine, a estimé à 110 000 le nombre de participants à la soirée du 4 juin, soit le niveau le plus faible depuis 2008. La police annonce 18 000 personnes présentes.

« C’est important d’être là, non pour ce qui s’est passé il y a vingt-huit ans, mais au nom de l’avenir de Hongkong », dit au milieu de la foule Mickaël Siu, un militant d’une soixantaine d’années. Une jeune femme, Rachel, 20 ans, venue avec son père, estime que c’est une manière de « montrer au gouvernement [de Hongkong] qu’il y a une résistance, que nous sommes attachés à la démocratie ».

Hongkong est tiraillé entre, d’une part, un gouvernement et une oligarchie pro-Pékin, et, d’autre part, une opposition pro-démocratie dont la frange radicale, notamment les partis dits « localistes », souhaite couper les ponts avec la Chine.

La veillée de Tiananmen, associée aux démocrates traditionnels, n’a pas les faveurs d’une partie de cette nouvelle garde très militante : les principaux syndicats étudiants des grandes universités ont continué cette année de boycotter l’événement, au prétexte qu’ils ne s’estiment pas concernés par la revendication de la démocratie en Chine. Certains font valoir que la veillée véhicule un sentiment d’appartenance à la Chine et d’identification aux protestataires de 1989 qui n’a plus lieu d’être.

Des divisions qui font le jeu de Pékin

Le militant Joshua Wong avant la veillée aux bougies pour les commémorations du massacre de Tiananmen, le 4 juin 2017 à Hongkong. | Kin Cheung / AP

Au contraire, les militants des partis « pan-démocrates » historiques ne cessent de rappeler l’importance de la commémoration. Ils sont suivis par quelques-uns des nouveaux partis, dont Demosisto, dirigé par Joshua Wong, 20 ans. « Cela rappelle au monde que Hongkong est à l’avant-garde du combat contre un régime chinois aux mains tachées de sang », a tweeté le jeune homme, figure du mouvement des parapluies, assailli par les journalistes en arrivant sur place.

Pour les vétérans du combat démocratique à Hongkong, il est illusoire de tourner le dos aux développements en Chine : l’ex-député Albert Ho, président de l’Alliance qui organise la veillée, a déclaré, après un long discours sur la scène dimanche soir, qu’il était d’autant plus essentiel de mener ce combat que « vingt ans après la rétrocession, le Parti communiste chinois exerce des pressions sur les mouvements pour la démocratie et les droits de l’homme à Hongkong même, interférant dans les affaires de Hongkong et y imposant sa dictature ».

Ces divisions au sein du camp démocrate à Hongkong font le jeu de Pékin. Les vétérans du camp pan-démocrate peinent à promouvoir leur lecture utilitaire, visant à faire du combat pour la démocratie en Chine un moyen d’obtenir plus de liberté pour Hongkong. « La jeune génération est encore dans une approche très émotionnelle, avec un discours radical. Elle ne veut rien avoir à faire avec la Chine », explique le chercheur Brian Fong, auteur d’une étude sur les nouvelles tensions entre le nationalisme chinois et le nationalisme hongkongais naissant. « Cela s’explique aussi par le fait que le mouvement localiste est né il y a trois ans et qu’il a besoin de temps pour trouver un discours plus raisonnable », estime M. Fong.