Bruno Maquart (Universcience) : « L’heure de l’antidisciplinaire est peut-être venue »
Bruno Maquart (Universcience) : « L’heure de l’antidisciplinaire est peut-être venue »
Par Marine Miller
Quel sera l’impact culturel et sociétal de la mutation numérique ? A l’occasion du Forum Changer d’Ere, qui se déroule mardi 13 juin, entretien avec Bruno Maquart, président d’Universcience.
Le forum Changer d’Ere, qui aura pour thème « le travail aux robots, la vie aux humains », aura lieu le 13 juin 2017 à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. | FABRICE COFFRINI / AFP
« Le travail aux robots, la vie aux humains ». Tel est le thème de la 5e édition du forum Changer d’Ere, qui se déroule mardi 13 juin 2017 à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris. Il sera ouvert par Bruno Maquart, président d’Universcience.
On annonce que les robots et l’impression 3D vont redessiner entièrement certains secteurs, comme la construction. Comment penser ce changement ?
De nombreux domaines d’activité utilisent des technologies, de la robotique à l’intelligence artificielle, hier cantonnées à quelques niches spécifiques et aux œuvres de science-fiction. Grâce notamment à des moyens de traitement de l’information de masse, la « machine » a récemment gagné en rapidité, en agilité, en autonomie et donc en puissance, jusqu’à nous battre au jeu de go. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité que des avancées techniques modifient de manière visible et substantielle nos existences : tout a commencé avec la maîtrise du feu en un sens.
Le « mode d’existence » de ces nouveaux « objets techniques » reste largement à penser, dans le prolongement des travaux fondateurs de Gilbert Simondon. C’est indispensable pour que citoyens comme pouvoirs publics, entreprises comme associations puissent utilement débattre des conséquences profondes des évolutions en cours, en particulier sur le travail. Il est intéressant de noter que la campagne électorale pour l’élection présidentielle de cette année a, pour la première fois, abordé ces questions « existentielles ».
Dans ce contexte, la formation, initiale et continue, qu’elle soit formelle ou informelle, est sans conteste l’enjeu majeur des temps qui viennent. Les mots-clés sont « apprendre » et « comprendre » : parce qu’il faut apprendre – et, surtout, apprendre à apprendre – pour apprivoiser le monde ; parce qu’il faut comprendre sa marche pour la maîtriser.
Est-ce une évolution ou une révolution ?
Seuls pourront le dire les historiens de demain, lorsqu’ils se pencheront sur notre époque avec le recul nécessaire. Les analystes du temps présent s’accordent toutefois à souligner la rapidité et la diversité des évolutions techniques en cours ; leurs conséquences sur nos vies sont de ce fait plus difficiles que jamais à cerner avec certitude. La seule certitude qu’on ait est qu’il va y avoir du changement. Plusieurs scénarios sont envisageables, de l’homme enfin libéré du travail par la machine à l’asservissement par cette dernière de l’espèce humaine.
Pour résumer, la seule chose que l’on sait, c’est qu’on ne sait rien de ce qui va arriver, en tout cas rien de manière certaine. N’oublions pas que l’avenir est une construction qui n’est pas figée : il dépend des décisions prises à chaque instant par chacun d’entre nous. Du choix d’aller à pied au bureau au lieu de prendre la voiture comme de celui de retirer son pays de l’Accord de Paris sur le climat…
Il faut insister sur la nécessité d’un renforcement massif des compétences individuelles et collectives, comme l’est corrélativement celle d’un investissement non moins massif dans la recherche. Façonner une société apprenante, c’est une belle feuille de route. La France sait ce qu’elle doit faire si elle veut être à même de structurer un avenir pour tous.
Comment repenser le concept de travail ?
Nous fêterons l’année prochaine le bicentenaire de Karl Marx. L’occasion sans doute de célébrer non pas tant sa postérité politique que la force de sa pensée critique, qu’on en partage ou pas les attendus. Je citerais deux concepts liés au travail : la discipline et le progrès. La discipline structure la manière dont la connaissance est traditionnellement organisée ; elle structure également par voie de conséquence l’enseignement, dès le collège : physique, chimie, mathématiques, économie, philosophie, histoire, biologie, sociologie… L’heure ne serait-elle pas venue de l’antidisciplinaire, selon une expression entendue au MIT-MediaLab, le laboratoire de recherche qui a sans doute poussé l’interdisciplinarité le plus loin et duquel sont sorties plusieurs applications majeures des technologies numériques de ces dernières années ?
Le progrès, enfin, objet d’un « mythe moderne » qu’analyse un récent ouvrage de Jacques Bouveresse. Ses mots sonnent juste : « Renoncer purement et simplement au progrès serait (…) renoncer à l’idée que le monde dans lequel nous vivons n’est pas le seul possible. En réalité, il y a bien une multitude de progrès possibles, nécessaires et urgents. »