TV : « La Moustache », le couple et l’identité sur le fil du rasoir
TV : « La Moustache », le couple et l’identité sur le fil du rasoir
Par Isabelle Regnier
Notre choix du soir. Un homme se rase, personne ne remarque rien. Quant à sa femme, elle nie ce passé pileux... (sur OCS choc à 20 h 40).
La moustache (2005) - Trailer
Dans son deuxième film, Emmanuel Carrère aborde avec succès le genre fantastique pour mettre en scène la crise d’un couple. Sans jamais se départir d’un traitement purement naturaliste, il filme un homme qui se demande s’il est en train de devenir fou.
Tout commence un soir, dans l’appartement du couple – en apparence idyllique – que forment Emmanuelle Devos et Vincent Lindon. L’homme demande à sa femme ce qu’elle penserait s’il se rasait la moustache avec laquelle elle l’a toujours connu. Malgré l’indifférence vaguement réticente qu’elle manifeste, il se lance. Anodin a priori, l’événement est filmé comme une véritable épopée, en temps réel, avec une grande précision, et soutenu par une musique dramatique signée de Philip Glass. Ce qui précipite le film dans la bizarrerie.
Vincent Lindon | Les Films des Tournelles
Fier de son coup, l’homme se présente devant sa femme, et celle-ci semble ne rien remarquer. A ce moment du film, Emmanuel Carrère reste dans un registre plutôt burlesque, qui doit sa grande réussite au jeu silencieux de Vincent Lindon, dont le trouble s’exprime uniquement dans une série de regards inquiets, perdus, implorants... L’impression d’étrangeté est renforcée quand le couple se rend chez des amis, qui, eux non plus, ne remarquent pas le changement, et bascule véritablement dans la peur quand Lindon confronte ouvertement sa femme à la situation. Terrifiée, celle-ci soutient mordicus que si personne n’a rien remarqué, c’est simplement parce qu’il n’a jamais eu de moustache.
Tourbillon de folie
Qui, de Vincent Lindon ou du reste du monde, est dans la folie ? Rien n’est jamais clair. Un tourbillon de folie se déchaîne, les souvenirs de sa vie s’effacent, sont remplacés par d’autres, les repères se brouillent. Emmanuel Carrère fait naître le trouble en jouant habilement avec les matières : le flou des vitres, les variations d’intensité sonore, le corps de Vincent Lindon, qu’il finit par faire ressembler à celui du personnage de La Métamorphose de Kafka... Après une belle échappée dans un Hongkong fantasmatique ? le voyage intérieur s’achève par une renaissance : la reconquête d’une individualité propre indépendante du regard de l’autre.
La Moustache, d’Emmanuel Carrère. Avec Vincent Lindon, Emmanuel Devos (Fr. 2005, 86min).