« Il est temps que les jeunes médecins comprennent qu’ils sont aussi une population à risque en termes de souffrance au travail », commente Leslie Grichy, la vice-présidente chargée des questions sociales de l’Intersyndicat national des internes (ISNI), à l’occasion de la publication de l’enquête sur la « Santé mentale des jeunes et futurs médecins », mardi 13 juin.

Selon cette enquête réalisée par l’ISNI et par trois autres syndicats représentant les étudiants (Anemf) et internes (Isnar) de médecine, ainsi que des chefs de cliniques et assistants des hôpitaux (Isncca), plus de 66 % des jeunes et futurs médecins souffriraient d’anxiété, contre 26 % de la population française. De même ils seraient près de 28 % atteints de troubles dépressifs, contre 10 % des Français.

Dans le monde hospitalo-universitaire, beaucoup plus sensible depuis quelques années à la question des risques psychosociaux, sur fond de médiatisation des cas de suicides de praticiens et de la souffrance des personnels médicaux, les résultats de cette enquête étonnent à peine.

Si la représentativité de l’échantillon de ses répondants n’est pas assurée, « les taux de réponses sont relativement importants, et les résultats cohérents avec d’autres études récentes, comme celle parue en 2016 dans le Journal de l’American Medical Association », commente le professeur Patrick Hardy, coordinateur de la spécialité d’internat « psychiatrie » en région Ile-de-France.

Quelque 22 000 futurs et jeunes médecins ont répondu au questionnaire – dont 20 % d’étudiants de deuxième année et de troisième année, 40 % d’externes et 35 % d’internes. Parmi eux, près de 24 % déclarent en plus avoir déjà eu des « idées suicidaires », un chiffre supérieur de 10 points à celui du Conseil national de l’ordre des médecins dans son enquête sur la santé des jeunes médecins de juin 2016.

« Une population particulièrement vulnérable »

Comment expliquer cette prévalence des troubles d’anxiété et de dépression chez les jeunes médecins ? Si la rencontre avec la réalité de la maladie, ainsi que la difficile préparation du concours d’internat à la fin de la sixième année, expliquent en partie les difficultés pour les plus jeunes étudiants et les externes, les internes sont, selon Patrick Hardy, « une population particulièrement vulnérable car ils passent bien souvent en l’espace de 24 heures, et sans préparation, du statut d’étudiant externe à celui d’un interne quasi responsable de la vie ou de la mort des patients ». Le tout avec des horaires à rallonge, malgré un plafonnement théorique du temps de travail à l’hôpital (48 heures par semaine), souvent non respecté.

En plus de cette forte charge de travail, le fait de se sentir seul face aux difficultés, sans soutien des pairs ou de la hiérarchie, est le « facteur de risque qui ressort le plus de notre étude », commente Leslie Grichy, de l’ISNI. Pour les futurs et jeunes praticiens, la découverte de l’hôpital est encore souvent celle d’un monde où le médecin peut difficilement montrer un signe de faiblesse, « où ceux qui souffrent se taisent », craignant que cela fasse d’eux de mauvais médecins.

Inciter les médecins à se faire soigner

Face à cette situation, de plus en plus de praticiens appellent à un « changement culturel ». « C’est un métier où l’on apprend malheureusement dès les premières années à s’endurcir, à ne pas se plaindre, à mettre de côté sa propre santé, car c’est le malade avant tout… », rappelle le docteur Max-André Doppia.

A la tête de la commission Smart (pour Santé du médecin anesthésiste-réanimateur au travail) du Collège français des anesthésistes-réanimateurs (CFAR), il œuvre ainsi, entre autres, pour faire entendre « qu’un médecin a le droit d’être malade ». Le CFAR a lancé début avril la campagne Dis doc, t’as ton doc ?, incitant les médecins à se faire soigner eux aussi quand ils sont malades, à abandonner l’autodiagnostic et l’automédication. Il rappelle que « 80 % des médecins n’ont pas de médecin traitant personnel ».

Parmi les principales propositions présentes à la fin de l’enquête figure la mise en place de « temps d’échanges réguliers » pour parler de ses difficultés et prévenir les risques psychosociaux. Des temps d’échanges qui existaient par le passé, selon Max-André Doppia, « mais qui ont disparu du fait d’une logique de management faisant disparaître les temps morts non productifs ».

La « stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail » à l’hôpital annoncée par l’ancienne ministre de la santé, Marisol Touraine, en décembre 2016, évoquait elle aussi le renforcement « des réunions d’équipe » et la mise en place de « dispositifs d’écoute offrant un soutien psychologique » en cas de difficulté. Des dispositifs d’alerte et de soutien qui existent aujourd’hui dans de nombreuses facultés de médecine, mais qui continuent à manquer au sein des hôpitaux que côtoient quasi exclusivement les jeunes médecins dès leur accès à l’internat.