Le Japon adopte un texte controversé de lutte antiterroriste
Le Japon adopte un texte controversé de lutte antiterroriste
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
Le projet de loi contre la « conspiration » facilite les mises en examen dans des affaires sans lien évident avec le terrorisme.
Le ministre de la justice du Japon, Katsutoshi Kaneda, à Tokyo, le 15 juin. | KYODO / REUTERS
Comme pour la loi sur les secrets d’Etat en 2013 et celle élargissant les missions des forces d’autodéfense en 2015, le gouvernement japonais a choisi de passer en force pour faire adopter son projet de loi contre toute forme de « conspiration ».
Au petit matin du jeudi 15 juin, le Sénat a voté en faveur de ce texte controversé, qui doit permettre la mise en examen d’une personne ou d’un groupe pour son implication dans la préparation ou la réalisation d’actes terroristes ou criminels. Le texte avait été adopté le 23 mai par la chambre basse.
Désireux d’aller vite à l’approche de la fin de la session parlementaire, dimanche 18 juin, le gouvernement a choisi mercredi de passer outre le vote de la commission sur les affaires judiciaires du Sénat, une décision inhabituelle dans la tradition parlementaire qui a soulevé de vives critiques de l’opposition. « C’est complètement fou », s’est emporté Toshio Ogawa, président du groupe du Parti démocrate (opposition). Remontée, l’opposition a tenté de repousser l’échéance du vote en session en déposant des motions de défiance contre le ministre de la justice, Katsutoshi Kaneda, et le gouvernement. Mais, comme l’opposition est minoritaire aux deux chambres, elles ont été aisément rejetées par le Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir) et son partenaire, le parti Komei.
Bateaux sans permis et champignons
« Je ne peux pas m’empêcher de penser que la manière adoptée reflète la volonté du gouvernement de mettre fin rapidement à la session parlementaire », a par ailleurs lancé Renho Murata, la présidente du Parti démocrate. De fait, le Parlement est également le théâtre de débats sur une affaire – le scandale « Kake Gakuen » – menaçant le premier ministre, qui est soupçonné d’avoir usé de son influence pour faire bénéficier à un de ses amis d’un permis de construire une école vétérinaire. La fin de la session parlementaire permettrait de limiter les discussions à ce sujet et notamment d’empêcher l’organisation d’auditions des protagonistes de l’affaire.
La loi contre la conspiration était toutefois une priorité du premier ministre, Shinzo Abe. Pour lui, un tel texte est indispensable pour ratifier la convention onusienne de 2000 sur le crime organisé et pour la sécurité des Jeux olympiques de Tokyo de 2020.
Son contenu soulève pourtant d’importantes questions, notamment sur son champ d’application. Ce texte inclut une liste de 277 cas pouvant déclencher des poursuites. Pour nombre d’entre eux, comme les infractions à la propriété intellectuelle, le fait de participer à des courses de bateaux sans permis ou le ramassage de champignons dans des zones protégées, les liens avec le terrorisme sont loin d’être évidents.
Peu débattu dans les médias, ce projet, assimilé par Mme Murata à une volonté de « détricoter de la démocratie », a suscité de multiples manifestations dans plusieurs villes du pays. Pour nombre d’avocats et d’universitaires, il rappelle les lois de préservation de l’ordre public de 1925. Avant leur adoption, à l’époque, le gouvernement affirmait qu’elles ne cibleraient que les communistes. Elles furent en réalité utilisées dans les années 1930 et 1940 pour imposer une stricte surveillance de la population et faire taire les oppositions à la montée du militarisme.
« Restrictions malvenues »
Le texte a même suscité l’inquiétude du rapporteur spécial des Nations unies sur la vie privée, Joseph Cannataci, qui, dans un courrier daté du 18 mai, pointait le « risque d’application arbitraire du texte en raison du flou de la définition de ce qui pourrait constituer la “planification” et les “actions préparatoires” ». Il s’interrogeait également sur l’inclusion d’une liste de crimes « qui n’ont apparemment aucun lien avec le terrorisme et le crime organisé » et dit redouter « des restrictions malvenues à la protection de la vie privée et à la liberté d’expression ».
Des critiques balayées par le gouvernement nippon, qui les a jugées « inappropriées ». « L’application du texte se limite au crime organisé, a affirmé jeudi Katsutoshi Kaneda avant le vote. Et seules les personnes ayant préparé un crime sont punissables. Dans ce sens, nous pensons que les critères définissant les crimes sont clairs. »